FORUM CONFIANCE                                                             décembre 2002

Compte rendu de la quatrième rencontre du séminaire

La Confiance et l'incertain : le rôle de l'État

19 novembre 2002, Ecole des Mines de Paris

Thème de la réunion :

Risque et sentiment de risque , confiance, contrôle


1- une grille de lecture
    Une grande diversité de situations et de paramètres
    Analyser le triplet risque/contrôle/confiance
      L'intervention d'un tiers

2- Objections et contradictions
     Toute analyse "tue" son objet ; l'analyse d'une relation entre deux personnes ne peut pas rendre compte de ce que la confiance a d'ineffable 
     L'analyse empêche de rendre compte de la diversité des situations 

3-Réponses
      L'analyse proposée permet au contraire de  faire apparaître ce qu'a d'ineffable une relation entre deux personnes
      Pour rendre compte de la diversité des situations, encore faut-il se mettre d'accord sur le sens des mots
      Cette analyse permet par exemple de décrire une curieuse relation de transitivité et de montrer la complexité du rôle de l'Etat.
 

Cette rencontre réunissait : Jean-Pierre Dupuy, Thierry Gaudin, Claude Malhomme, Claude Maury, Dominique Moyen, Gérard Piketty, Henri Prévot, Claude Riveline et Marie-Solange Tissier. 
 
 

1- Une grille de lecture

   Une grande diversité de situations et de paramètres

Lors de nos réunions précédentes, nous avons été confrontés à la polysémie de la notion de "confiance". Nous l'avions notée dès la première réunion : le mot traduit-il la même réalité dans le cas où l'on prévoit que quelqu'un se comportera de telle façon parce qu'il l'a toujours fait, ou parce qu'il est de son intérêt de procéder ainsi ou encore parce que l'on saura bien contrôler qu'il procède ainsi ou parce que c'est une personne de confiance ? Au cours de notre troisième réunion, Pierre Rosanvallon nous a dit que le mot de confiance pouvait recouvrir des notions exprimées en anglais par de très nombreux mots différents. Par ailleurs, notre deuxième réunion a été consacrée à une notion qui accompagne comme son ombre la notion de confiance, celle de risque et, avec elle, celle de précaution et de contrôle.

Le but de notre groupe est de décrire le rôle de l'Etat dans un monde incertain. Pour cela, il est nécessaire d'employer des mots, donc de convenir du sens qu'on leur donne. Déjà, dans ces trois réunions, nous avons été amenés à considérer un grand nombre de situations différentes, à constater que les personnes ne réagissent pas de la même façon aux informations qu'elles reçoivent ni au risque qu'elles perçoivent. Est-il possible dans cette grand diversité de situations où règne l'incertain de discerner des composantes que l'on y retrouvera souvent ; est-il possible de situer ces composantes les unes par rapport aux autres ?

Henri Prévot s'y est essayé et a exposé une analyse dans deux notes que l'on trouve sur le site web du forum: "Vérifiez-vous la monnaie que vous rend votre boulangère ?" et la "note préparatoire" à cette réunion.

Il pense que, pour embrasser en un coup d'śil un grand nombre de paramètres, il est commode de les représenter par des symboles ; d'autre part, si, dans une situation donnée, lorsque un paramètre est plus fort un autre est plus faible, il est commode d'écrire que la somme des deux est constante. Le formalisme mathématique utilisé dans les notes mentionnées plus haut est une commodité visuelle et ne va certes pas plus loin. D'ailleurs, il est possible d'exprimer tout cela sans recourir à aucun formalisme mathématique.

Agencer les paramètres, distinguer ce qui est "rationnel" de ce qui ne l'est pas

Cela dit, l'idée directrice est de partir du triplet risque/contrôle/confiance en s'attachant toujours à bien faire une double distinction : d'une part entre la réalité "objective" et sa perception ; d'autre part entre ce qui peut faire l'objet d'un discours, d'une justification, et ce qui est "ineffable".

Soit la relation d'un sujet A à une entité B, laquelle, selon le cas, peut être une autre personne, ou bien une organisation, ou bien encore une situation, voire une entité abstraite (confiance dans la monnaie, dans l'avenir).

À l'état de B s'attache une incertitude, qu'un observateur impartial pourrait apprécier à l'aune des occurrences possibles du risque, sous forme de probabilités objectives. Mais les mécanismes subjectifs de la perception (faisant intervenir l'ignorance, éventuellement volontaire, si la mauvaise foi est de la partie, la désinformation, etc.) introduisent un biais dans la façon dont A apprécie l'incertitude en question. Par ailleurs, A peut en général exercer des contrôles directs sur l'état de B, contrôles qui ont une certaine efficacité réelle, mais que A perçoit au travers d'autres mécanismes subjectifs. Le "solde" de ces diverses opérations mentales se traduit par une perception "brute" du risque que A prend en s'engageant dans une relation avec B. À ce stade, nous sommes encore dans l'ordre du raisonnable, sinon du rationnel, et du communicable – dans l'ordre de la délibération.

Intervient alors la confiance. Selon l'expression commune, un risque brut perçu élevé (par exemple, B conduit vite sur route mouillée un véhicule dont je suis le passager) peut ne pas m'inquiéter si je "fais confiance" à B ; en ce sens, on peut dire que la confiance vient en quelque sorte "en soustraction" du risque brut perçu, pour donner le risque net perçu. Inversement, le sujet A peut percevoir un risque élevé s'il ne fait pas confiance à B. Le cas de la défiance peut être vu comme une confiance "négative", A pouvant penser ainsi : "certes le risque, normalement, n'est pas élevé mais parce que c'est lui, B, je perçois que ce risque est plus élevé".

Il faut aller plus loin dans l'analyse.

En effet ce risque net perçu, compte tenu de la confiance que A a en B, engendre à son tour un sentiment du risque, lequel peut se traduire par des manifestations physiques (peur, tremblements) ; en cela le sentiment produit par la perception d'un risque est plus concret et mesurable que le "sentiment" de confiance. Si le sentiment né du risque perçu est trop fort, s'il dépasse ce que A peut accepter, le refus du risque se traduit soit par la fuite (physique : on s'éloigne ; ou mentale : on s'évanouit, on se drogue, on prend des psychotropes ; ou sociologique : on entre dans une secte) ou par une réaction sociale ou politique (comme la révolte et la violence).

      Analyser le triplet risque/contrôle/confiance

Selon son auteur, cette grille de lecture a simplement pour ambition de récapituler l'ensemble des dimensions qui interviennent dans l'analyse du triplet risque/contrôle/confiance, en distinguant soigneusement ce dont on peut parler et ce dont il est beaucoup plus difficile de parler.

On peut parler de l'incertain et de la perception de l'incertain ; c'est le domaine de l'ingénieur et celui de l'information, de la communication. Au-delà, on est dans l'ordre de l'irrationnel, puisque A ne peut pas expliquer raisonnablement pourquoi il fait confiance - car, selon cette grille, ce qu'il peut expliquer raisonnablement vient diminuer le "risque brut perçu". De même A ne peut pas expliquer raisonnablement pourquoi il supportera ou non le sentiment produit par le risque "net" perçu. On est là dans le domaine du sociologue ou du psychologue. Ainsi, on peut supposer que le sentiment d'appartenance à une communauté accroît le seuil de tolérance.

      L'intervention d'un tiers

Dans les réunions précédentes on a vu toute l'importance dans les questions qui nous occupent de l'intervention de tiers tels qu'un organisme de certification ou de contrôle. Comment rendre compte de l'effet de leur intervention ?

A ne peut pas contrôler B et ne lui fait pas confiance. Rien ne vient donc diminuer le risque tel que A le perçoit ; le sentiment produit en A par ce risque est tel que A préférera ne pas avoir de relations avec B ou, si il doit en avoir (la proximité d'une usine dangereuse), il le ressentira douloureusement. Le tiers C, lui, a les moyens d'exercer un contrôle. Donc, de son point de vue, le risque est diminué d'autant, mais sans doute pas complètement ; vu de C, ce risque peut être encore diminué de la confiance que C accorde à B. C fera part à A du risque tel qu'il le perçoit. Dans sa relation avec C, A peut estimer d'abord le risque que C lui dise "n'importe quoi" ou soit incompétent - ou les deux. Si A a des moyens de contrôler C, le risque brut en sera diminué d'autant. Si A fait confiance à C, il percevra un risque net égal au risque net dont l'informe C.

Si donc A fait confiance à C et si C contrôle bien B, A vivra en paix, ou du moins sans trop d'inquiétude, près de B ou acceptera de contracter avec B.
 

2- Objections et contradictions

La discussion fait émerger de nombreuses interrogations au sujet du sens, de la pertinence et de l'opportunité d'une telle grille de lecture. Le fait que la discussion ait été aussi animée montre en tout cas que la grille proposée aura eu au moins le mérite de susciter un débat sur les fondements mêmes, et les moyens, de notre projet, ce qui était son ambition première.

L'apparence formalisatrice de la grille suscite des réactions de rejet: Que viennent faire les mathématiques, au demeurant élémentaires, dans cette histoire? Et même si les mathématiques ne sont là qu'à titre analogique ou métaphorique, n'y a-t-il pas une pétition de principe à recourir à la modélisation symbolique? On sait par exemple, en ergonomie cognitive, que le conducteur d'un engin (auto, avion, etc.) intègre dans son esprit l'image de son corps et celle de l'engin sans recours à la représentation symbolique. 

Plus fondamentalement, peut-on partir d'entités individuelles que l'on se donne, pour analyser ensuite leurs relations, sans tenir compte du fait que la relation qui lie deux entités – et c'est spécialement vrai de la relation de confiance – modifie les entités en question? Le simple fait de faire confiance à quelqu'un vous transforme en tant que personne. La formalisation, ici, court le risque de tuer l'objet.

D'autres interrogations touchent plus spécialement l'inclusion de la confiance dans une telle modélisation. Si la confiance est de l'ordre de l'ineffable, comment peut-elle se combiner ou entrer en synergie avec des éléments dont on dit qu'ils sont, eux, réductibles à la délibération? La confiance participe du rêve, du fantasme, de la projection imaginaire dans l'avenir, toutes choses irréductibles à l'analyse scientifique. Keynes, dans ses travaux sur la bourse et les marchés financiers, évoquait, à la suite de Descartes, les "esprits animaux".

Les exemples sur lesquels repose la grille de lecture sont des cas de prédation. Or la confiance est un don qui, comme tel, répond à un besoin essentiel de reconnaissance. Des cas sont connus où le sujet qui est soumis à un contrôle gaffe pour être pris dans un rapport humain, fût-ce sous la forme d'une réprimande ou d'une sanction. Comment intégrer cette dimension dans un formalisme?

La confiance peut prendre une grande variété de formes et de qualités, et reposer sur une grande diversité de fondements, en particulier selon que l'on place sa confiance dans une personne, dans une organisation ou dans une entité abstraite. Qu'y a-t-il de commun entre une confiance qui repose sur un effet de réputation (l'autre n'a jamais trompé quiconque jusqu'à présent) et mon pari, sorte de saut dans l'inconnu, de faire confiance à autrui sans base sûre? Ainsi Sartre: "C'est ce qui fait du mot même de 'croire' un terme indifféremment utilisé pour indiquer l'inébranlable fermeté de l'âme ['Mon Dieu, je crois en vous'] et son caractère désarmé et strictement subjectif ['Pierre est-il mon ami? Je n'en sais rien: je le crois.']. Et aussi: "Je crois que mon ami Pierre a de l'amitié pour moi. Je le crois de bonne foi ... Je le crois, c'est-à-dire que je me laisse aller à des impulsions de confiance, que je décide d'y croire et de me tenir à cette décision, que je me conduis, enfin, comme si j'en étais certain, le tout dans l'unité synthétique d'une même attitude." (Section: "La 'foi' de la mauvaise foi" du chapitre II, "La mauvaise foi" de l'Etre et le néant, coll. Tel, p. 106 et 105.) Le formalisme proposé rabat toutes ces qualités de confiance sur une même échelle unidimensionnelle et donne à penser que l'on tient quelque chose de saisissable. Or entre la confiance qui va tellement de soi que l'on n'y pense pas et la confiance reposant sur une vigilance qui exige une activité neuronale intense, quoi de commun?

Par ailleurs, la grille proposée rend-elle justice à la complexité des rapports entre confiance et incertain, ou confiance et risque? Peut-il y avoir confiance dans le certain? Ne doit-on pas penser avec Thomas d'Aquin que "lorsque nous accordons notre confiance, nous continuons de nous inquiéter. Faire confiance, c'est accepter d'être vulnérable, de dépendre d'autrui. Comme la foi, la confiance consiste à accepter une chose qui n'est pas tout à fait sûre"? Si c'est le cas, peut-on, comme le suggère la grille proposée, traiter la confiance comme un facteur qui vient en soustraction du risque perçu?

On peut craindre en résumé que se donner une grille de lecture commune vienne trop tôt dans le processus d'élaboration. Il ne faut pas vouloir mettre de l'ordre au départ et imposer un modèle qui serait un carcan. Il est sans doute préférable de procéder comme on l'a décidé au début et comme on a commencé de le faire avec les séances sur la précaution et sur la démocratie, à savoir examiner et discuter patiemment un certain nombre d'études de cas. La synthèse, s'il doit y en avoir une, viendra à la fin.
 

3- Réponses

Toutes ces remarques montrent à quel point il est urgent de convenir de quoi nous parlons faute de quoi nous ne pourrons pas nous comprendre, ce qui ne serait pas très grave, et nous ne pourrons pas énoncer de discours compréhensible donc opératoire, ce qui serait plus gênant. Cela ne veut pas dire qu'il faille s'enfermer dans un mode d'analyse. Celui qui est présenté ne représente sans doute pas toutes les circonstances où l'on pense que la confiance est en jeu - notamment le cas cité de la personne qui, par son comportement apparemment paradoxal, recherche en réalité la confiance de celui qu'elle provoque.

L'apparence formalisatrice de cette analyse est gênante ? N'y voyons aucune pétition de principe ; voyons dans la forme une aide, non un carcan.

La grille de lecture proposée n'exclut pas du tout que la confiance coexiste avec le sentiment de risque ; mais qui niera que là où règne une plus grande confiance, la perception du risque est moindre - et là où règne la défiance, la perception du risque est plus forte - même si le risque "brut" c'est à dire le risque rationnel, celui que l'on peut expliquer par un discours, est le même ? De même l'accord est-il sans doute possible sur le fait que si je peux exercer un contrôle que j'estime efficace, ma perception du risque brut est moins forte que si je ne le puis point. Ou encore sur le fait que deux personnes différentes peuvent avoir la même perception du risque mais le ressentir différemment (des exemples ont été donnés antérieurement : même si l'ouvrier d'une centrale nucléaire a exactement la même perception du risque que le voisinage, le sentiment créé en lui par cette perception est différent ; par ailleurs, il arrive que l'on éprouve du plaisir face à un risque qui suscite généralement de la douleur etc.). Cette "formalisation" mathématique ne veut pas dire autre chose. Pourquoi, à sa vue, avoir la perception d'un risque, celui de se trouver guidé par des ornières ?

Il est plus difficile de répondre à la critique selon laquelle cette formulation ne tiendrait pas compte du fait qu'une personne est modifiée par la relation avec une autre personne. Si cette modification empêchait que l'on puisse considérer que c'est encore la même personne, effectivement, tout discours en serait singulièrement entravé. Par contre, le fait que le conducteur d'un véhicule ait l'impression de faire corps avec sa voiture ne gêne pas le raisonnement présenté ; il suffit de constater que cette circonstance explique le fait que pour ce conducteur le risque net perçu est inférieur au risque net perçu par un autre chez qui ce sentiment de "faire corps" est moindre.

Si la confiance est de l'ordre de l'ineffable, ce qui est l'hypothèse sous-jacente à la grille de lecture proposée, comment pourrait-on dire que l'on a "confiance" que quelqu'un fasse ceci parce que c'est son intérêt ? Cette "confiance" là est rationnelle ; elle vient donc diminuer l'incertitude rationnelle. Si cet argument suffit à rendre certain le fait que l'autre agira, il n'est pas nécessaire de recourir à la confiance pour rendre compte de cette certitude - ce qui ne veut pas dire que la confiance ("ineffable") est absente (peut-être les deux interlocuteurs se font-ils confiance en effet) ; seulement, on n'en pas besoin pour rendre compte du fait que la relation a eu lieu.

Par contre, dans d'autres circonstances, lorsque l'on voit une personne à la fois incertaine sur ce que l'autre peut faire et en même temps sûre qu'elle ne court aucun risque, sans pouvoir dire d'où lui vient cette certitude, on peut dire que cette personne, assurément, fait confiance, de l'ordre de l'"ineffable".

D'autres commentaires tournent autour de la question : comment donc peut-on "additionner" des éléments rationnels et quelque chose d'aussi insaisissable que la confiance ? N'est-ce pas ignorer le côté mystérieux de la confiance ? Il importe d'apporter une réponse circonstanciée à cette question.

Certes, le bon sens populaire dit que l'on ne peut pas additionner des torchons et des serviettes, mais en fait il n'est pas impossible d'additionner des grandeurs de nature différente, des stocks et des flux, par exemple (un stock et un flux font un stock) et même un point et un vecteur (un point et un vecteur donnent un autre point). 

Sérieusement, bien des relations entre personnes ou entre personnes et institutions sont mystérieuses ; comment se fait-il que je décide d'agir avec un autre, de croire ce qu'il dit etc. ? On n'arrivera jamais à en rendre compte complètement par un raisonnement, par un discours. Or toute relation baigne dans un contexte, et sur toute relation on peut tenir un discours qui la commente, qui l'analyse. Mais il restera le plus souvent quelque chose à proprement parler d'ineffable. Décortiquer, analyser, désigner, nommer tout ce qui peut l'être, ce n'est aucunement toucher à ce qui ne peut pas l'être ; bien au contraire c'est le libérer, c'est le débarrasser tout ce lui colle, pour mieux le voir.

Dans l'ordre de l'ineffable, on trouvera la confiance, qui dépend de la qualité de la relation personnelle ; on trouvera aussi la façon dont un risque perçu produit un sentiment, et la limite de tolérance du sentiment de risque, cette limite dépendant sans doute, entre autres, du sentiment d'appartenance à un groupe.

La confiance pourra être, selon les cas, une attitude spontanée et non réfléchie, ou au contraire une décision. Il se peut aussi qu'une même personne, dans la même situation, tantôt éprouve un sentiment de confiance qui lui permet de ne pas ressentir de risque tout en ne faisant aucun contrôle, et tantôt décide de faire un contrôle car le risque, sinon, lui serait insupportable, et tantôt ressente le risque, sans faire de contrôle, tout en le considérant comme supportable ; vue de l'extérieur, elle aura toujours le même comportement - ainsi Pascal pense-t-il - ou fait-il mine de penser - que l'on peut remplacer la confiance (la foi) par la prise consciente d'un risque calculé (le pari).

Si l'on pense qu'il vaut mieux que l'Etat ne touche pas à ce que la confiance a d'ineffable - où irions-nous sinon? -, n'est-il pas utile de connaître tout ce qui facilite la relation de façon que cette relation soit possible sans recourir à une dose de confiance trop grande?
 
 

Retour sur l'effet de l'intervention d'un tiers dans une relation à deux : une "transitivité" d'un genre particulier

L'Etat peut intervenir comme un tiers - ou en facilitant la création de tiers - qui contrôle un des deux partenaires de la relation tout en ayant la confiance de l'autre. On voit apparaître là une espèce de transitivité : en effet une relation entre l'entité B et l'organe de contrôle C et une relation entre l'organe de contrôle C et l'entité A permettent une relation entre l'entité B et l'entité A - relation qui, sans C, n'eût pas été possible. L'idée qui pourrait venir à l'esprit est celle-ci: "la confiance est transitive" ou encore "les amis de mes amis sont mes amis". Rien de tel ici : la relation de C vers B est de nature tout à fait différente de la relation de A vers C ; dans la première, la composante principale est le contrôle et dans l'autre, la composante principale est la confiance. Cette différence manifeste n'empêche pas que la relation "il existe une relation" soit transitive ("il existe une relation de C vers B" et "il existe une relation de A vers C" entraînent "il existe une relation de A vers B"). L'intervention de C produit la relation entre A et B si A fait confiance à C, et elle est d'autant plus utile que C ne fait pas confiance à B ; elle rend la relation possible entre A et B sans créer aucunement de confiance (en ce que celle-ci a d'ineffable) entre A et B. Peut-on vraiment dire alors que l'intervention de C est "génératrice de confiance"? Ce serait singulièrement manquer de respect envers le mot "confiance".

Dans d'autres cas, il s'agira réellement de la transitivité de la confiance. Encore plus évidente est la transitivité du contrôle. La relation de contrôle et la relation de confiance se ressemblent donc ; mais leurs ressorts sont tout à fait différents.

Le cas de la lettre de change, autre situation où une relation entre deux entités est rendue possible par l'intervention d'un tiers, est intéressant. C est le débiteur de A. A contracte une dette envers B et s'en acquitte en transférant à B la créance qu'il a sur C. Alors, la confiance que A a en C, le débiteur, et la confiance que B a en C permettent la relation entre A et B (pour payer une dette, A endosse la lettre et la donne à B) sans que A et B n'aient à se faire confiance et sans que l'un n'ait aucun contrôle sur l'autre. Parler d'une "transitivité" de la confiance serait en l'occurrence inapproprié. L'efficacité de C vient de ce que A et B lui font confiance et qu'il est débiteur.
 

      Le rôle de l'Etat, face au risque

Le premier rôle de l'Etat est de diminuer le risque, par des réglementations, par des contrôles, par la mise en place d'une dynamique qui les diminue (comme un marché concurrentiel, dans la mesure où il est de l'intérêt de chaque acteur d'être honnête). Après avoir analysé ce que ressentent les personnes devant une situation incertaine, on se rend compte qu'il ne suffit pas de diminuer le risque objectif - loin de là.

Il y a loin en effet de la réalité objective du risque au sentiment produit en définitive par cette réalité. L'Etat peut donc intervenir sur

    • la façon dont la réalité est perçue;
    • le contrôle que la personne peut exercer elle-même pour diminuer l'incertain tel qu'elle le perçoit;
    • la relation entre le risque perçu et le sentiment qu'il inspire;
    • le degré de tolérance du sentiment né du risque perçu.
L'Etat peut aussi intervenir en suscitant l'interventions de tiers qui contrôlent et en faisant en sorte que ces tiers inspirent confiance.

Cela pose la question de la nature de la "confiance" en une institution. Il se peut qu'une bonne partie de cette "confiance"-là soit de l'ordre du rationnel : on a confiance car on n'a pas de raisons de se méfier. Si l'on réserve le mot "confiance" à ce que la confiance a d'ineffable, il se peut que la confiance en une institution soit seulement la confiance en des personnes qui y jouent un rôle clé. Mais le sujet n'a pas été vraiment abordé ici et demanderait d'autres développements.