Commentaires sur le livre de Christian Gérondeau : CO2 un mythe planétaire


Christian Gérondeau, ingénieur général des ponts et chaussées, a écrit en 2009 un livre sur un ton polémique où il  prend vigureusement le contre pied de ceux qui recommandent des politiques publiques qui diminuent les émissions de CO2. Il estime que les émissions de CO2 dues à l'activité humaine ne perturberont pas le climat au point qu'il faille consentir à faire de lourdes dépenses pour le réduire. Il estime que c'est de l'argent gaspillé alors que d'autres besoins sont immenses, il ne comprend pas pourquoi nous nous priverions d'une ressource encore peu chère alors que toute tonne de pétrole que nous ne consommons pas sera consommée par un autre pays avec qui nous sommes en concurrence et il étrille certaines décisions récentes prises au nom de l'effet de serre.

C. Gérondeau n'écrit sans doute pas sans réflexion. D'autre part, il est président de l'association des polytechniciens. C'est pourquoi, j'ai lu son livre avec attention pour localiser la source de nos désaccords.

Sur les erreurs de la politique française et européenne, je suis d’accord. Il faut les signaler et, surtout, dénoncer comme le fait l'auteur les enrichissements sans cause, les risques de corruption, les gaspillages. Je suis également d’accord avec lui sur la meilleure façon de consommer moins d’énergie fossile (véhicule hybride, biomasse, etc.). L'auteur a tort d'affirmer qu'en France l’on a suffisamment de centrales nucléaires. Mais cela n’a guère d'importance, comparé à ce qui suit.

En effet, une lecture attentive du livre permet de voir pourquoi nous sommes en profond désaccord sur les conseils à donner au gouvernement.

On lit (pp 68 à 75) que la consommation des réserves d’énergie fossile techniquement et économiquement accessibles génèrera des émissions de 3600 milliards de tonnes de CO2 (1000 pour le pétrole, 600 pour le gaz et 2000 pour le charbon). Soit 1000 milliards de tonnes de carbone. Certes il est écrit que ce pourrait être plus, mais arrêtons-nous à ces chiffres que retiendra le lecteur.

S’il en est ainsi, le GIEC lui-même dit que la concentration sera de 550 ppm et que la hausse de température depuis 1990 sera en 2100 de 2,2 °C. L'auteur ne dit pas autre chose que le GIEC en fait ! Mais il minimise le fait que la température continuera d’augmenter longtemps après que les teneurs auront été stabilisées, jusqu’à augmenter de 3,5 °C (comparée à 1990). Comme l'écrit l'auteur, c’est probablement supportable, au moins sur le siècle à venir. Dans ce cas, le problème est celui de l’épuisement des ressources en énergie fossile.

Mais voilà ! Il est très probable que les quantités techniquement accessibles à un coût que les consommateurs sont et seront prêts à payer sont très supérieures, du fait du progrès technique et de l’augmentation des possibilités financières des consommateurs. Dans « Trop de pétrole ! » j’ai fait l’hypothèse de 2000 milliards de tonnes de carbone. J’ai participé depuis à tout un cycle de réunions de très bon niveau organisé par EDF qui arrive aux mêmes conclusions. Et ce sera peut-être beaucoup plus : on pourra exploiter le charbon in situ par exemple. L'auteur, qui fait justement remarquer que le progrès technique va souvent plus loin qu’on l’avait prévu, ne devrait pas écarter cette perspective.

Or si les quantités accessibles sont effectivement de 2000 milliards de tonnes et qu’on les exploite rapidement (c'est-à-dire plus vite que ce que les océans et continents peuvent réabsorber, soit 3 GtC/an diminuant sans doute vers 2 du fait de l’acidification des océans et de la hausse de leur température), sachant que le captage et stockage du CO2 ne pourra pas absorber la différence entre 1000 et 2000 milliards de tonnes de carbone, la teneur en CO2 passera à 750 ppm, la hausse de température en 2100 (par rapport à 1990) à 2,6 °C pour se stabiliser à 4,7 °C plus ou moins 2 °C – encore plus sur les continents ; ça commence à chauffer !

Cette différence d’évaluation des réserves est à la racine de nos désaccords.

Comme je l’écris dans le premier chapitre de « Trop de pétrole ! », selon que l’on considère que le problème est l’épuisement des ressources ou l’effet de serre, la politique publique doit être complètement, radicalement, différente. On ne saurait trop insister sur ce point. Si l’on n’est pas d’accord sur le diagnostic, il est inutile de discuter de ce que pourrait être la meilleure politique publique – qui, comment ?

Additif en janvier 2016 :
La conférence COP21 de Paris a retenu l'objectif d'une augmentation maximale des températures de 2 °C depuis l'ère préindustrielle - non depuis 1990. Les scientifiques estiment que pour y arriver il ne faudrait pas rejeter, à partir d'ajourd'hui, plus de 1000 milliards de tonnes de CO2. Même si l'on pense que c'est irréaliste, cela n'empêche certes pas de chercher à réduire beaucoup les émissions de CO2. Dans Trop de pétrole ! publié au début de 2007, j'avais fait l'hypothèse d'une quantité maximale de 1000 millards de tonnes de carbone ; selon les études récentes du GIEC, c'est certainement trop.