Enjeux et débats
Il serait possible d'avoir une
politique de l'énergie claire et peu coûteuse
Par Henri Prévot, Ingénieur général
des mines
Des décisions importantes on été prises par
l’Etat sur la production d’électricité et sur la consommation
d’énergie par les bâtiments. EDF est obligée de racheter
l’électricité des éoliennes implantées à terre ou en mer deux
ou trois fois plus cher que l’électricité qu’elle produit, et
l’électricité des panneaux photovoltaïques douze fois plus
cher. Quant aux bâtiments neufs, même avec une très bonne
isolation les nouvelles normes interdisent les radiateurs et
les chauffe-eau électriques : il faudra une chaudière et un
chauffe-eau au gaz, qui émettent du CO2, ou des pompes à
chaleur ou un chauffe eau solaire, qui coûtent cher
(1).
Pourquoi avoir pris ces décisions sur
l’électricité et sur le chauffage ?
Est-ce pour
consommer moins d’énergie ? Ce serait se tromper d’objectif
car la contrainte qui pèse sur nous n’est pas la consommation
d’énergie ; c’est l’émission de CO2 ou, ce qui revient au même
tant que l’on ne stocke pas le CO2, la consommation d’énergie
fossile, produits pétroliers, gaz ou charbon.
Alors,
pourquoi acheter à prix d’or une électricité éolienne ou
solaire qui remplace une électricité nucléaire dont la
production n’émet pas de CO2 ? Pour développer une filière
industrielle française, nous dit-on. L’exemple de l’éolien
démontre qu’il ne suffit pas de créer un marché pour créer une
filière industrielle française. De toute façon, il serait
utile de comparer le coût de ce soutien au nombre d’emplois
créés dans la filière. Le résultat du calcul est
catastrophique. Le vrai motif de ce soutien est donc
ailleurs.
Quant au secteur du bâtiment, les mêmes
questions se posent. Pourquoi des normes de consommation aussi
sévères ? Et pourquoi pénaliser la consommation d’électricité
même si elle n’émet pas de CO22 ? Il reste un seul motif : les
obligations d’achat d’électricité et les normes sur le
bâtiment ont pour but d’éviter la construction de centrales
nucléaires. Les « accords de Grenelle » ne traitent pas du
nucléaire mais on a entendu une des parties prenantes de ces
accords parler de la « paix des braves » entre ceux qui sont
favorables au nucléaire et les autres, une « paix » fondée
probablement sur l’accord, sinon tacite, du moins occulte, de
ne pas augmenter la capacité nucléaire de plus d’un réacteur
ou deux. Il est donc intéressant de calculer « le coût du
réacteur EPR évité », c’est-à-dire combien nous dépenserons en
plus pour éviter d’avoir besoin d’un réacteur EPR. L’éolien en
mer nous coûtera 1,5 milliard d’euros par an et par EPR évité
; le photovoltaïque, nous coûte 3 milliards d’euros par an par
EPR évité. Les normes de consommation des bâtiments coûtent 1
à 2 milliards d’euros par an par EPR évité.
Nous sommes
un pays riche et tous les ménages ont un pouvoir d’achat
largement suffisant, n’est-ce pas ? Pourquoi donc
refuserions-nous ces dépenses ? Mais du moins, que ces coûts
soient connus ! Chacun pourra alors faire des comparaisons.
Que préférer ? Dépenser 1 à 3 milliards d’euros par an pour
éviter un réacteur EPR ou dépenser 1 à 3 milliards d’euros par
an pour que nos enfant réussissent à l’école, que nos anciens
souffrent moins de la solitude, que la crise du logement soit
moins grave, que nos laboratoires de recherche soient mieux
équipés ?
Pourquoi cette question sur les coûts
n’est-elle pas posée ? Il faut dire que, sur la politique de
l’énergie et de lutte contre les émissions de CO2, règne une
grande confusion.
Diminuer les émissions françaises de
CO2, qui sont d’un tiers inférieures aux émissions allemandes
et trois fois moindres que celles des Etats-Unis, n’aura pas
d’effet sensible sur le climat. Pour nous convaincre de faire
un effort, on nous parle de l’épuisement des ressources
fossiles mais c’est illogique car, s’il faut se priver
d’énergie fossile au nom du CO2, cela veut dire qu’on n’en
épuisera pas les ressources. On veut nous convaincre des
bienfaits du photovoltaïque ou des éoliennes au nom de l’effet
de serre alors qu’ils remplacent une production d’électricité
nucléaire. Et les décisions politiques prises sans en
considérer le coût sont souvent extrêmement onéreuses et
enrichissent grassement quelques groupes d’intérêt. Le risque
est grand que nos concitoyens, déconcertés, se découragent et
refusent désormais tout effort.
Il serait pourtant
simple d’avoir une politique claire. Tout d’abord, expliquer
pourquoi faire un effort. Selon les scientifiques, si les
émissions de CO2 ne sont pas fortement réduites les dommages
causés par le réchauffement climatique deviendront
catastrophiques. Quand ces dommages apparaîtront avec
évidence, il apparaîtra également que la façon la plus commode
de diminuer les émissions de CO2 n’est pas d’agir sur la
consommation mais d’agir sur la production d’énergie fossile.
Le prix mondial de l’énergie, au lieu de diminuer faute de
demande, augmentera beaucoup par manque d’offre. Cette
régulation par la production est possible car une douzaine de
pays seulement, parmi lesquels figurent toutes les grandes
puissances mondiales, possèdent les trois quarts des réserves
en gaz, pétrole et charbon, ont les moyens juridiques et
politiques de limiter les investissements de production et ont
intérêt à le faire car cela fera monter les prix au lieu de
les voir baisser. Alors, un pays comme la France rencontrera
des difficultés d’approvisionnement en énergie fossile. Il
s’agit donc d’un risque sur la sécurité d’approvisionnement en
énergie, un risque dû non pas à l’épuisement des ressources
mais à des décisions politiques prises par les pays qui
détiennent les ressources.
L’objectif est donc de
diminuer notre consommation d’énergie fossile. Comment
l’atteindre au moindre coût ? Il est inutile de se perdre en
réflexions interminables sur l’évolution du prix du pétrole et
du prix du CO2. Toute décision qui permet d’éviter une
consommation de fioul, de carburant ou de gaz devient
économiquement intéressante si le prix de l’énergie fossile
payé par celui qui prend la décision atteint un certain
niveau. Ce niveau de prix est un indicateur fort utile car il
ne dépend pas du prix du pétrole.
A l’aide de cet
indicateur, on peut classer les décisions en fonction de leur
coût et, lorsqu’une limite d’émission est fixée, retenir les
décisions les moins coûteuses, ce qui permet d’énoncer une
règle politique très simple : ne rendre obligatoires, ne
financer sur fonds publics que les actions qui seraient
économiquement intéressantes si le prix à la consommation
finale du gaz, du fioul du gazole était à un niveau fixé par
décret – à mon avis un prix de l’ordre de 1000 €/m3, 100 €/MWh
hors toute taxe si l’on augmente la capacité nucléaire.
Un objectif, un indicateur, un critère de coût pour
les réglementations et les subventions, cela ne suffit pas. Il
faut aussi, inévitablement, créer un impôt CO2. L’impôt serait
calculé de façon que le prix à la consommation finale soit
supérieur à un prix plancher qui serait progressivement porté
au niveau indiqué ci-dessus, une augmentation de 1 à 2 c€par
litre de fioul ou de carburant chaque année, en plus de
l’inflation. L’impôt dépendrait donc du prix du pétrole. Ce
dispositif tracerait un avenir libéré des incertitudes sur
l’évolution du prix du pétrole, ce qui susciterait les
investissements utiles.
Les émissions françaises
pourront être divisées par deux ou trois sans que cela soit
trop cher si la capacité nucléaire augmente. Quand aurons-nous
enfin un débat serein sur cette question ? Les risques du
nucléaire seront évalués et comparés aux dommages créés par
l’exploitation et la consommation de charbon, de gaz et de
pétrole ; comparés également au coût d’autres moyens de
production d’électricité et des normes de construction, qui
s’élève à 1 ou 3 milliards d’euros par an par réacteur
évité.
* Auteur de « Trop de pétrole ! –
Energie fossile et réchauffement climatique » (Seuil 2007),
prix de l’Académie des sciences morales et politiques.
Rédacteur du site Internet www.hprevot.fr
(1) Selon la
nouvelle réglementation thermique RT2012, la consommation
d’énergie pour le chauffage, l’eau chaude et l’éclairage d’un
logement de 100 m2 devra être inférieure à 5 MWh (l’équivalent
d’un demi mètre cube de fioul) en comptant 2,58 kWh pour
chaque kWh électrique consommé.
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