Le coût des dommages causés par la production et la consommation d'énergie




On parle beaucoup des coûts de production d'énergie, en particulier d'électricité ; on parle moins des coûts à ajouter pour que cette électricité soit acheminée jusqu'au consommateur selon ses besoins : coût du transport, de la distribution et du stockage éventuellement ; il est peu fréquent que l'on ajoute les coûts d'utilisation tels que le surcoût d'une pompe à chaleur comparée à une chaudière au gaz ou le surcoût d'un véhicule à propulsion électrique.
Et, hors des milieux spécialisés, on ne parle pratiquement jamais du coût des dommages causés par la production ou l'utilisation de l'énergie. Il faut dire que, ne serait-ce que pour comprendre de quoi il s'agit, c'est très compliqué.
On m'a demandé de faire un exposé sur le sujet. Après avoir hésité, je m'y suis lancé.

Voici donc le texte de mon exposé à la SFEN ; pour une lecture plus rapide, les planches power point correspondantes.




Henri Prévot                                                                                     

Communication faite le 27 novembre 2015 aux journées « nucléaire et environnement » de la SFEN

 
Les dommages causés par la production et la consommation d’énergie

Dommages causés par la production d’électricité

Dommages évités par le remplacement du fioul, du gaz ou du carburant par de l’électricité

 
Pour avoir une idée de ce que l’énergie coûte à la société, il faut compter le coût des dommages causés par sa production et sa consommation. Il faut donc ajouter aux prix la part du coût des dommages qui n’y est pas déjà incluse, c'est-à-dire ce que l’on appelle les « coûts externes ». Calculer le coût de la production d’énergie n’est pas toujours facile ; traiter du coût des dommages est encore bien plus compliqué. On ne peut espérer mieux que des ordres de grandeur, mais ceux-ci sont très instructifs. Pour les énergies fossiles et pour le chauffage au bois, les coûts externes sont du même ordre de grandeur que les coûts économiques.

Cet article passe en revue les différents dommages causés par la production et l’utilisation d’énergie, puis donne des indications sur les coûts des dommages causés par la production d’électricité. Pour ce qui est du chauffage et du transport, j’essaie d’évaluer de combien les dommages sont diminués lorsque l’énergie fossile ou la biomasse est remplacée par de l’électricité. Mon but est de montrer quels sont les paramètres importants et ceux qui le sont moins.

 
Les dommages causés par la production et la consommation d’énergie

            Les catégories de dommages ; une unité de mesure pour chaque catégorie

Pour avoir un tableau complet des dommages causés par la production et la consommation d’énergie,  on considère l’ensemble du cycle de vie, depuis l’extraction de la source d’énergie jusqu’à  son utilisation finale, y compris la gestion des déchets.

Il est difficile de dresser la liste de tous ces dommages réels ou potentiels : le réchauffement climatique causé par les émissions de CO2, les effets sur la santé des émissions de particules fines et d’autres toxiques, la surexploitation des ressources naturelles finies, ressources en énergie fossile, en minéraux, en matériau ou en eau, l’éco-toxicité, les effets sur la biodiversité, l’occupation du sol, le bruit, la dégradation du patrimoine naturel, des paysages ou des bâtiments, etc.

Les études sur le sujet sont innombrables. En voici trois, qui sont récentes et auxquelles je me réfèrerai :

- Subsidies and costs of EU Energy – novembre 2014

- Economic cost of the health impact of air pollution in Europe OCDE, OMS – 2015

- Rapport au nom de la commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air – juillet 2015

Ces études se réfèrent à une méthode, ReCiPe, qui regroupe les dommages en dix-huit catégories. Pour chaque catégorie est définie une unité de mesure de la quantité de polluants. Ainsi, les quantités de substances participant à l’acidification des sols sont mesurées à l’aide d’une seule unité, le « Kg de SO2 équivalent ». Dire que la quantité d’émissions causant l’acidification des sols est de 1 Kg de SO2 équivalent, c’est dire que cette acidification est égale à celle qui serait causée par l’émission de 1 kg de SO2 à l’exclusion de tout autre gaz acide. Autre exemple : la catégorie « particules fines » contient non seulement les particules qui sortent, par exemple, du pot d’échappement des voitures mais également les gaz qui, par réaction avec d’autres substances présentes dans l’atmosphère, formeront des particules fines ; elle comprend aussi les particules fines de natures tout à fait différentes, comme celles qui sont produites par l’usure des freins ou par les embruns. L’unité de mesure de quantité est le kilogramme de « particules fines équivalentes », PM10 eq si l’on se réfère aux particules d’un diamètre inférieur à 10 microns. Après avoir défini une unité de mesure par catégorie de dommages, on donne un coût à chaque unité ainsi définie.

 
            Le coût des dommages ; comment le mesurer ?

Il est parfois assez facile de définir le dommage : une nuisance sonore, la diminution de la fertilité d’un sol, la dégradation d’un bâtiment par les particules fines émises par les véhicules en ville par exemple. S’agissant des dommages sur la santé, comme celle-ci dépend d’une multitude de paramètres, pour mesurer l’effet d’une pollution les études épidémiologiques comparent la situation de populations similaires mais exposées à des pollutions plus ou moins importantes. Le nombre de décès prématurés et le nombre de maladies imputables à ces pollutions peuvent alors être évalués.

Une fois mesuré le dommage, son coût dépend de la perte de valeur de ce qui a subi le dommage. L’occupation du sol ou la perte de production agricole peuvent être évaluées directement. Mais quelle valeur donnée à une nuisance sonore, à la dégradation d’un paysage ? On peut se référer à la diminution de la valeur du foncier. On peut aussi demander aux personnes ce qu’elles seraient prêtes à payer pour éviter cette nuisance.

Quant aux effets sur la santé, on peut en évaluer le coût économique en comptant le nombre de jours d’indisponibilité ou la perte d’efficacité économiques des personnes touchées. Mais cette approche est très insuffisante.

Elévation du niveau de la mer, sécheresse, dégradation ou, au contraire, ailleurs, amélioration de la fertilité des sols, perte de biodiversité, déplacement de populations avec tout ce que cela entraîne… inutile de dire combien il est difficile d’évaluer les effets du réchauffement climatique. Par ailleurs, donner un coût au fait qu’une ressource limitée serait surexploitée pose également d’intéressantes questions de méthode ; nous y reviendrons.

A côté de cette approche qui mesure le coût des dommages, il en est une autre qui tend à évaluer les dépenses qui suppriment les dommages sans supprimer leur cause. Si le réchauffement climatique a pour effet de faire monter le niveau de la mer, une façon de se préserver de cet effet est d’édifier des digues. De même, s’agissant des effets sur la santé, le coût des dommages peut être calculé à partir des dépenses médicales et hospitalières.

Une troisième approche évalue ce qu’il faut dépenser pour éviter la cause des dommages. Une façon d’éviter l’émission de particules fines par les centrales électriques au charbon est de les équiper de filtres plus efficaces ou encore de les remplacer par des centrales nucléaires et par des éoliennes par exemple. Cela coûte plus cher. La différence de dépense peut être considérée comme le coût des dommages.

Trois approches donc, dont chacune donne une évaluation du coût : le coût des dommages à proprement parler, les dépenses à faire pour éviter les dommages sans en supprimer la cause, les dépenses à faire pour en supprimer la cause. Ce que l’on appelle « coût des dommages » est la plus petite de ces trois évaluations[1].

 
            L’évaluation de la vie humaine

Pour définir une politique publique, il est utile de donner une valeur à une année de vie préservée ou au fait d’éviter un décès prématuré. Fixer cette valeur est une décision politique. Certes, elle peut s’appuyer sur quelques données comptables ou économiques, mais celles-là ne seront pas décisives.

Il est possible de tenir compte à la fois du nombre d’années de vie perdues – ou préservées - et de l’état de santé ou de la sévérité du dommage, en donnant à chaque année une valeur ajustée selon la quantité de vie ; c’est le DALY, disability adjusted life year.

Pour la France, le rapport du Commissariat général au Plan dit rapport Boiteux 2 proposait en 2001 de donner au décès prématuré le coût de 1,5 million d’euros (valeur 2000).  Un rapport plus récent (rapport Quinet, 2013), au vu notamment d’une étude faite par l’OCDE, propose de retenir la valeur de 3 M€, indépendante de l’âge des personnes concernées. Cette valeur de la vie humaine de 3 M€ est équivalente à une valeur de l’année de vie préservée (DALY) de 115 000 €.

L’étude susvisée « subsidies and costs » suppose que la valeur d’une année de vie préservée est de 58 000 €, c'est-à-dire la moitié de la valeur retenue aujourd’hui en France.

 
            Les principales catégories de dommages causés par la production et la consommation d‘énergie

L’étude « subsidies and costs » donne une évaluation du coût des dommages causés en 2012 dans les vingt-huit pays de l’Union européenne par la production d’électricité et par la production de chaleur.

Entre autres enseignements, elle indique le coût des dommages par technique de production d’électricité ou de chaleur avec les moyens de production utilisés actuellement. Les centrales au lignite ont des résultats bien meilleurs que les centrales au charbon car elles sont plus récentes et mieux équipées que la moyenne des centrales au charbon en exploitation en Europe.

Selon cette étude, parmi les dix-huit catégories de dommages, il en est quatre qui dominent : l’effet sur la santé humaine des particules fines, l’effet sur la santé humaine des autres produits toxiques, le changement climatique et l’épuisement de ressources finies. L’ensemble des autres catégories de dommages entre pour moins de 5% des dommages causés par les énergies fossiles et, quelle que soit le technique de production, a un coût inférieur à 5 €/MWh électrique[2].

 
            Le coût des effets sanitaires de particules fines et des autres produits toxiques

                        Pour produire de l’électricité

En 2012, en moyenne dans l’Union européenne, les émissions de particules fines[3] des centrales au charbon sont de 1,5 KgPM10 par MWh électrique. Celles des centrales au lignite (en moyenne plus récentes que la moyenne des centrales au charbon) sont de moitié. Les centrales au gaz en émettent très peu. La valeur de l’année de vie préservée étant comptée pour 58 000 euros, le coût des émissions de particules fines est de 15 €/kgPM10.

Le coût observé aujourd’hui dans l’Union européenne est donc de 22 €/MWh produit par des centrales au charbon et 10 €/MWh produit par des centrales au lignite. Il est seulement de 2 €/MWh lorsque l’électricité est produite à partir de gaz.

La production d’électricité photovoltaïque est la cause d’émissions de particules fines au stade de la fabrication des panneaux. Le coût de ces émissions est de 3 €/MWh.

Les émissions des autres produits toxiques apparaissent surtout au stade de  l’extraction. Leur coût est de 15 € par MWh produit par des centrales au charbon, 8 € par MWh produit à partir de lignite et 4 €/MWh pour l’électricité photovoltaïque.

 
                        Pour produire de la chaleur

Selon l’étude « subsidies and costs » la combustion de fioul industriel émet des particules fines dont le coût est de 4 €/MWh thermique ; elle est la cause d’une toxicité sur l’homme dont le coût est de 2 €/MWh thermique.

La combustion de bois sous forme de « pellets » émet des particules fines dont le coût est de 5 €/MWh thermique.

 
                        La production d’électricité nucléaire

L’étude  « subsidies and costs » inclut, on le rappelle, le stade amont d’exploitation minière. Elle compte l’irradiation et le risque d’accident.

La prise en compte de l’éventualité d’un très grave accident soulève de difficiles questions[4]. Il est inutile de faire valoir des arguments chiffrés comparant coûts et avantages à quiconque s’opposerait au nucléaire par refus systématique du risque, aussi peu probable soit-il, d’accident grave, c'est-à-dire un accident qui obligerait à abandonner des territoires pendant très longtemps. Tout au plus peut-on lui faire remarquer que le nombre de décès causés par les fuites de radioactivité lors des accidents de Three Miles Island ou Fukushima est très faible ; il est également possible de montrer et de chiffrer le coût du refus de l’électricité nucléaire. Mais cela ne suffira pas pour convaincre.

Si l’on ne s’oppose pas par principe au nucléaire, il est possible d’évaluer le coût du risque d’accident grave. L’étude  « subsidies and costs » rappelle que, dans la littérature, le coût en probabilité des accidents est compris entre 0,5 et 4 €/MWh. Elle cite également une étude faite par Greenpeace qui chiffre le coût de l’accident de Fukushima à 130 milliards d’euros. Vu l’auteur de cette estimation, on peut penser que c’est une estimation située plutôt en haut de la fourchette d’incertitude. Une étude faite par un collège indépendant de scientifiques japonais[5] chiffre les dommages à 11 trillions de yens, c’est à dire des millions de millions ou des milliers de milliards. Comme il faut 130 yens pour faire un euro, le coût serait de 85 milliards d’euros. Dans cette somme 23 % serviront à nettoyer les zones contaminées, 20 % à démanteler les centrales et près de la moitié servira à compenser les dommages causés aux personnes déplacées de chez elles. Le coût sanitaire imputable directement à la radioactivité est pour ainsi dire nul. Si l’on fait l’hypothèse d’un coût de 100 milliards et d’une probabilité de grave accident de 1 pour cent mille années par réacteur nucléaire, un réacteur de 1 GW produisant 7,5 millions de MWh, en probabilité le coût de l’accident est de 0,15 €/MWh. Même en faisant des hypothèses plus pessimistes sur le coût d’un accident grave et sur sa probabilité, le coût en probabilité de l’accident grave n’est pas supérieur à 1 €/MWh[6].

Le coût des autres effets externes, hors l’épuisement des ressources limitées mais y compris les dommages causés par l’extraction de l’uranium, n’est pas supérieur à 5 €/MWh.

 
            Le coût imputable à la surexploitation de ressources finies

Il n’est pas facile d’évaluer le coût d’une éventuelle surexploitation de ressources finies. Cela a été tenté pour le pétrole. On fait d’abord des hypothèses sur les ressources existantes, sur le coût d’exploitation, sur le progrès technique. Il faut aussi convenir de la répartition équitable de cette ressource entre les « générations présentes » et les « générations futures », ce qui se traduit par un « taux d’actualisation ». A partir de ces hypothèses, on calcule un rythme idéal d’exploitation. Si le rythme observé est supérieur, c’est le signe que cette ressource est surexploitée. Pour qu’elle retrouve le rythme optimal, il faudrait que son prix soit supérieur à ce qu’il est en réalité. La différence est le coût externe de l’épuisement de la ressource, c'est-à-dire ce qui n’est pas pris en compte dans le prix.

L’étude « subsidies and costs »  retient comme coût externe 50 € par tonne de pétrole, le prix du pétrole étant ce qu’il était en 2012, soit 100 $/bl.

Pour ce qui est des autres sources énergétiques non renouvelables, l’étude, après avoir souligné à quel point cette évaluation est incertaine, donne au coût externe de la consommation d’une ressource finie, charbon, gaz ou uranium, la même valeur de 50 €/tep, soit uniformément 14 €/MWh électrique.

Il est bien difficile de suivre ce raisonnement. C’est d’autant plus difficile que, si l’humanité veut vraiment lutter contre les émissions de CO2, elle n’utilisera pas toutes les ressources en énergie fossile accessible à un coût que les consommateurs seraient prêts à payer. Quant au minerai d’uranium, lorsqu’il viendra à manquer la technologie des surgénérateurs remplacera la génération actuelle de réacteurs de sorte que les ressources en matière première deviendront pratiquement sans limite.

Dans la suite, je considèrerai donc pour nul le coût imputable au caractère fini des ressources en gaz, charbon ou minerai d’uranium.

Pour ce qui est de matériaux et des métaux, ce coût de la rareté n’est pas nul mais entre pour très peu dans le coût des dommages.

 
            Le coût des émissions de CO2

L’étude « subsidies and costs », constate que, selon la littérature, le coût du CO2 est dans une fourchette de 0 à 100 € par tonne de CO2 ; elle retient la valeur de 50 €/tCO2. Comme le prix du CO2 sur le marché européen des permis d’émettre du CO2 est de 7 €/tCO2, le coût externe est compté pour 43 €/tCO2.

Ce raisonnement et cette valeur sont très contestables : le prix du pétrole étant ce qu’il est en 2015, soit 50$/bl, c’est plutôt 200 €/tCO2 qu’il faut compter, au minimum, comme je vais le montrer.

La théorie économique fait appel à la notion de « coût marginal », coût marginal des dommages causés par le réchauffement climatique et coût marginal d’évitement des émissions. A partir d’une situation donnée où les émissions totales cumulées de CO2 sont ce qu’elles sont, le coût marginal des dommages est le coût des dommages qui seraient causés par l’émission d’une tonne de CO2 supplémentaire. Le coût marginal d’évitement est ce qu’il aurait fallu dépenser en plus pour éviter l’émission d’une tonne de CO2. La théorie démontre que si l’on veut minimiser le total du coût des dommages et des dépenses à faire pour éviter des dommages plus grands, la quantité totale des émissions de CO2 doit être telle que le coût marginal des dommages est égal au coût marginal d’évitement. C’est cette valeur commune du coût marginal des dommages et du coût marginal d’évitement qui est ce que la théorie appelle « valeur du CO2 ».

 

 
La théorie démontre aussi que, si l’on ajoute aux coûts marginaux de production cette valeur du CO2, le libre jeu de la concurrence conduit à une situation optimale. D’où l’idée d’ajouter aux prix une taxe égale à ce coût du CO2.

Tout cela est bel est bon mais suppose que le prix de marché, avant la taxe, soit un coût de production marginal, ce qui est vrai sur un marché libre et concurrentiel. Lorsque l’on s’écarte peu d’un tel marché, une taxe sur le lieu de consommation égale au coût des dommages est efficace ; c’est une taxe à la Pigou. Mais en matière d’énergie fossile, on est bien loin de cette situation de marché libre et concurrentiel où les ressources les moins chères sont d’abord utilisées. Lorsque les pays détenteurs de ressources faciles à exploiter retiennent leur production, ce qui fait monter le prix, tout se passe comme s’ils prélevaient eux-mêmes une partie de cette taxe. Vu d’un pays consommateur, le coût du CO2 est diminué d’autant.

Il est facile de s’en rendre compte. Quelques pays, dont ceux de l’Union européenne, ont décidé de diminuer leurs émissions de CO2. Ils y parviendront en diminuant leur consommation d’énergie ou en remplaçant de l’énergie fossile par une autre forme d’énergie. Cela sera économiquement intéressant si le prix à la consommation du fioul, du gaz ou du carburant est à un niveau suffisant pour que le fioul soit remplacé par des pompes à chaleur ou un chauffage urbain au bois, et pour que le carburant soit remplacé par du biocarburant de seconde génération ou par une propulsion électrique par exemple. Quel devrait être alors le prix à la consommation de l’énergie fossile ? Cela dépend du coût de l’électricité, nucléaire ou hydraulique pour plus de 80 % en France, du coût du biocarburant, du coût de l’isolation thermique et de celui des pompes à chaleur, du coût des réseaux de chaleur, etc. – bref, ce niveau de prix ne dépend pas[7] des cours mondiaux du pétrole, du gaz ou du charbon. Si l’on peut produire du biocarburant de seconde génération au coût de 1100 €/m3 hors toute taxe, c’est 600 € par mètre cube de plus que le gazole à Rotterdam, soit 714 € par tonne, 790 € par tonne de carbone ou 215 € par tonne de CO2, le prix du pétrole étant ce qu’il est aujourd’hui. Il faudrait un impôt CO2 à ce niveau-là. Alors, pour la propulsion  des véhicules ou pour le chauffage, l’électricité remplacera carburant, gaz ou fioul et bien des travaux d’isolation thermique deviendront intéressants. Le niveau de cet impôt dépend évidemment des cours mondiaux du pétrole, du gaz et du charbon.

C’est le prix à la consommation qui induit les choix des consommateurs. Vu de France ou de l’Union européenne, parler d’une valeur du CO2 indépendante des cours mondiaux du pétrole, du gaz et du charbon est donc insensé. Si l’on veut beaucoup diminuer nos émissions de CO2, les cours du pétrole, du gaz et du charbon étant ce qu’ils sont aujourd’hui, la valeur du CO2 en France est au minimum de 200 €/tCO2. C’est ce qu’il faut dépenser en plus pour respecter la limite d’émission de CO2 fixée par le pouvoir politique. Comme celle-ci est fixée de façon à limiter et compenser les dommages causés par les émissions de CO2, la valeur du CO2 vue du pays consommateur est la part du coût des dommages causés par les émissions de CO2 qui n’est pas internalisée dans les cours mondiaux[8]. Elle baissera donc si le cours du pétrole augmente, et augmentera dans le cas contraire. Tenant compte des 7 € /tCO2 du marché des permis d’émettre, on retiendra ici un coût externe de 193 €/tCO2.

 
            La valeur des coûts externes de production d’électricité dans l’Union européenne aujourd’hui

Dans le tableau suivant, les coûts externes de la production d’électricité sont calculés en supposant que le coût externe du CO2 est de 43 ou 193 €/tCO2 et sans tenir compte d’un coût pour épuisement des ressources finies en gaz, charbon ou minerai d’uranium. Pour ce qui concerne les particules fines et les autres toxicités, la valeur du DALY est de 58 000 €, deux fois moins que selon les évaluations en cours en France.

Ces coûts externes de la production nucléaire incluent le coût des accidents et tous les coûts externes en amont ou en aval du processus de production. Ils n’incluent pas le coût de dégradation du paysage. Quant au charbon e au gaz, il s’agit de coûts sans CCS (capture et stockage de CO2).

Le tableau ci-dessous permet de classer les moyens de productions en trois catégories :

            - très faibles coûts externes (de 5 à 13 €/MWh) quel que soit le coût du CO2 : l’éolien, le photovoltaïque et le nucléaire

            - coûts externes élevés : le charbon et le lignite : entre 70 et plus de  200 €/tCO2 ;

            - en situation intermédiaire, la production à partir de gaz : entre 26 et 90 €/MWh

 

Coûts externes de la production d’électricité dans l’Union européenne

A partir de l’étude « subsidies and costs », sans retenir de coût pour épuisement de ressources finies et avec une un coût du CO2 de 0, de 50 ou de  200 €/tCO2, soit un coût externe de 0, de 43 ou de 193  €/tCO2

€/MWh

 

à partir de…

Chang. Clim

50 €/tCO2 /

200 €/tCO2

Particules

Toxicité humaine

Autres

Total

0 €/tCO2   /

50 €/tCO2   /

200 €/tCO2

DALY de 58000 €

Charbon sans CCS

43    /      193

22

15

5

42  / 85   /    235

Lignite

47    /    209

10

8

3

22  /  69  /    230

Gaz nat. sans CCS

22    /    88

2

 

2

4  /  26   /    92

Nucléaire

6      /   9      y compris extraction du minerai et accident

5     /  6    /  9

PV

3     /    9

3

4

3

10 /  13   /   22

Eolien

1     /    4

 

2

2

4  /    5    /   8

 
Ces coûts externes s’ajoutent aux coûts de production ; si les prix du gaz ou du charbon augmentent, le coût de production augmente mais le coût externe relatif au réchauffement climatique diminue ; le coût total n’est pas modifié.

 
De combien l’utilisation de l’électricité permet de diminuer les coûts externes du chauffage

L’étude « subsidies and costs » donne aussi les coûts externes de production de chaleur par une chaudière domestique au gaz ou une chaudière industrielle au fioul. Comme pour la production d’électricité, on ne compte pas ici de coût externe pour la consommation d’une source finie et l’on introduit un coût du CO2 de 200 €/tCO2. Le tableau idique aussi les coûts externes sans compte le CO2. La valeur de l’année de vie sauvegardée est de 58 000 €.
 


€/MWh thermique

Chang. Clim

50 €/tCO2 /  200 €/tCO2

Particules

Toxicité humaine

Autres

Total

0 €/tCO2 /

50 €/tCO2 /

200 €/tCO2

Chaudière à gaz

10     /    40

1

0

1

2  /  12    /    42

Fioul industriel

14     /     56

4

2

1

7  /  21    /    63

 
Supposons que l’on remplace un chauffage au gaz ou au fioul par une pompe à chaleur de coefficient de performance 3 et que l’électricité qui l’alimente soit produite aux trois quarts sans émissions de CO2 et pour un quart à partir de gaz.

Le coût externe du chauffage par pompe à chaleur est 3,4 €/MWh thermique si le coût du CO2 est de 50 €/tCO2 ; il est de 8 €/MWh thermique si le coût du CO2 est de 200 €/MWh. Sans compter de coût du CO2, il est de 2 €/MWh thermique.

Ainsi le remplacement du fioul par une pompe à chaleur évite des effets externes à hauteur de 18 à 55 €/MWh thermique selon le coût du CO2. Si le chauffage est au gaz, son remplacement par une pompe à chaleur diminue les effets externes de 10 à 34 €/MWh thermique. Si l’on ne tient pas compte du coût du CO2, le remplacement du gaz par un PAC n’a pas d’effet sur les effets externes ; le remplacement du fioul par une PAC les diminue de 5 €/MWh thermique.

 
De combien l’utilisation de l’électricité par les véhicules hybrides rechargeables ou électriques permet de diminuer les coûts externes du transport sur route

Le transport sur route génère toutes sortes de coûts sociaux. Certains sont indépendants de l’énergie de propulsion : l’encombrement, l’occupation de l’espace public, les risques d’accident, l’usure des chaussées notamment. D’autres seront diminués ou, au contraire, augmentés lorsque le carburant est remplacé par de l’électricité.

            Diminution des émissions de CO2

Remplacer du carburant pétrolier par de l’électricité diminue les émissions de CO2 à condition, bien sûr, que l’électricité soit produite avec très peu d’émission de CO2. Si l’électricité est produite à partir de charbon, la propulsion électrique émet plus de CO2 que le carburant pétrolier ; si l’électricité est produite à partir de gaz, le bilan est à peu près équilibré, sans plus, car il faut tenir compte des pertes de charge de la batterie. En France, il est possible de faire l’hypothèse qu’une proportion de 90% de l’électricité consommée par les véhicules sera produite sans émission de CO2 (nucléaire, hydraulique, et, si l’on y tient, éoliennes et photovoltaïque) et de 10 % à partir de gaz.

            Diminution de la pollution atmosphérique locale : les particules fines

L’utilisation de l’électricité diminue certainement la pollution atmosphérique locale ; il est difficile de dire dans quelle proportion.

Le rapport fait au nom de la commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air évalue le coût de la pollution atmosphérique en France à 100 milliards d’euros par an, en donnant à l’année de vie préservée la valeur de 115 000 €. Ce rapport, reprenant le résultat d’études récentes, notamment une étude faite par l’OMS, estime que la moitié du coût de la pollution atmosphérique est imputable aux transports, soit. 50 milliards d’euros par an. Comme la consommation de carburant est environ de 50 milliards de litres par an, il est tentant de dire que le coût de la pollution atmosphérique dû aux carburants est de 1 € par litre.

Ce serait aller trop vite. Certes le rapport du Sénat nous apprend que plus de 80 % des dommages vient des particules fines mais il nous dit aussi que celles-ci ne proviennent pas seulement des pots d’échappement. L’usure des pneus, des freins et des embrayages génère une bonne partie des particules fines émises par les véhicules. D’ailleurs, l’air dans le métro parisien est plus chargé de particules fines que l’air en surface. La propulsion électrique diminue sans doute l’usure des freins et celle des embrayages mais ne change rien à l’usure des pneus. Comme on l’a dit plus haut, ce qu’on appelle particules fines est formé non seulement de très fines poussières mais aussi des émanations de gaz qui, réagissant avec des substances présentes dans l’atmosphère, créent des aérosols toxiques ; ceux-là sont probablement - mais on n’en sait rien - plus toxiques que les très fines poussière nées de l’usure des pneus ou des plaquettes de frein. De plus les filtres à air et les équipements de purification des fumées d’échappement ont fait et continuent de faire de tels progrès que le remplacement du carburant par de l’électricité ne diminuera sans doute pas beaucoup la pollution due aux fumées d’échappement.

Faute de mieux, supposons que l’utilisation de l’électricité permette de réduire de moitié la pollution atmosphérique due au transport sur route, soit 0,5 €/litre si la vie humaine est comptée pour 115 000 euros (selon la proposition du rapport Quinet) ou moitié moins selon la valeur retenue par l’étude « subsidies and costs ».

            Les dommages causés par les batteries

En sens opposé, pour consommer de l’électricité, il faut des batteries. Une étude publiée en 2011 par le Commissariat général du développement durable évalue à 400 € les dommages causés par la production et  l’utilisation d’une batterie. Ce coût provient en grande partie des émissions de SO2. Si l’on suppose qu’une batterie, sa vie durant, remplace 13 mètres cube de carburant, les dommages qui lui sont imputables représenteraient 30 € par mètre cube. Mais, depuis la rédaction de ce rapport, la valeur de la vie humaine  a été revue à la hausse. Retenons un coût de 50 € par mètre cube de carburant remplacé.

            Les dommages causés par la production d’électricité

Supposant que 90 % de l’électricité consommée par les véhicules est produite sans émission de CO2, le coût des dommages causés par la production d’électricité est de 8 ou 15 €/MWh électrique selon la valeur du CO2. Hors CO2, ils sont de 5 €/MWh. Un mètre cube de carburant produit 10 MWh thermiques. En supposant que cette énergie peut être remplacée par 3,3 MWh électrique, les dommages causés par l’électricité qui remplace 1 m3 de carburant sont de 24 ou 45 € selon la valeur du CO2 ; 15 € hors CO2.

            Au total, diminution du coût des dommages grâce au le remplacement d’un mètre cube de carburant par de l’électricité

Au total, les effets externes évités quand 1 m3 de carburant est remplacé par de l’électricité sont d’une part l’émission de 2,8 tCO2 dont le coût est évalué à 140 ou 560 € (selon que le CO2 est compté pour 50 ou 200 €/tCO2) et, d’autre part, une partie des émissions de particules polluantes dont le coût est compté pour 125 ou 250 €  selon la valeur de l’année de vie sauvegardée (58 000 ou 115 000 €).

Tenant compte des coûts externes de la batterie pour 50 € par mètre cube de carburant, et des dommages causés par la production d’électricité, on calcule que la substitution de carburant par de l’électricité produite à 90 % sans émission de CO2 diminue les effets externes de 190 à 700 euros par mètre cube de carburant remplacé, selon le coût du CO2 (50 ou 200 €/tCO2) et selon la valeur donnée à l’année de vie humaine préservée. Hors CO2, le remplacement d’un mètre cube de carburant par de l’électricité diminue le coût des dommages de 60 à 185 € selon la valeur donnée à l’année de vie humain préservée.

Il s’agit, le lecteur l’aura remarqué, de calculs approximatifs. Toutes les études sur le sujet soulignent l’importance des incertitudes sur le coût des effets sanitaires des particules fines et autres formes de pollution, surtout si l’on veut prendre en compte les effets à long terme et le résultat de la combinaison de plusieurs polluants. Il reste que ces valeurs indiquent très probablement un bon ordre de grandeur.

 
Comment l’électricité peut diminuer les coûts externes de l’énergie

Si l’électricité est produite, comme en France aujourd’hui, pour plus de 80 % à partir de sources non carbonées, le remplacement de fioul, de gaz ou de carburant par de l’électricité diminue les effets externes de la production et de la consommation d’énergie de 30 à 200 € par mégawatt.heure électrique selon la valeur attribuée au CO2 (de 50 à 200 €/MWh) et à l’année de vie humaine sauvegardée (de 58 000 à 115 000 €).

Même sans compter le CO2, le remplacement de fioul ou de carburant par de l’électricité permet de diminuer les coûts sur la santé de 16 à 55 €/MWh électrique.

 

En cas de remplacement du fioul, du gaz ou du carburant par de l’électricité

baisse des coûts externes si l’électricité est produite à 80% sans émissions de CO2

Baisse des coûts externes

Sans coût du CO2

50 /tCO2

200 €/tCO2

Chauffage : électricité et PAC v/s gaz ou fioul

 

 

 

           Coûts externes de. 1 MWh électrique

5

10

23

     Gaz :   Coûts externes de 3 MWh thermiques

6

36

124

Coûts externes évités avec une PAC, par MWh électrique

1

26 €/MWhe 

100 €/MWhe

     Fioul    Coûts externes de 3 MWh thermiques

21

62

189

Coûts externes évités avec une PAC, par MWh électrique Valeur de l’année de vie sauvegardée : 58 000 

16 €/MWhe

52 €/MWhe

166 €/MWhe

Transport sur route

 

 

 

Coûts externes. évités par m3 de carburant remplacé

Selon la valeur donnée à l’année de vie

60 à 185

190 à 310

580 à 700

Coûts externes. évités par MWh électrique

selon la valeur de la DALY : 58 000 ou 115 000 €.

18 à 55 €/MWhe

57 à 93 €/MWhe

174 à 210 €/MWhe

 

Conclusion 

Il y a près de vingt ans, j’ai participé à une réunion internationale de préparation des négociations sur le climat. Cela m’a donné l’occasion de demander à un fonctionnaire chinois quelle était la position de son pays. Il m’a répondu très simplement que les émissions de CO2 n’étaient pas vues comme un problème prioritaire. Mais la Chine était préoccupée par la pollution causée par l’utilisation de charbon et de carburant pétrolier. Ce qui était vrai il y a vingt ans l’est encore plus aujourd’hui. Pour maîtriser la consommation d’énergie fossile, la volonté de diminuer la pollution est certainement aussi forte que celle de diminuer les émissions de CO2.

Pour ce qui concerne la France et l’Union européenne, un autre effet externe de la consommation d’énergie pourrait être décisif pour nous convaincre de diminuer à la fois notre consommation d’énergie fossile et nos émissions de CO2 : l’autonomie énergétique.

Pollution et santé, climat, autonomie énergétique – trois motivations qui jouent dans le même sens : pour le transport remplaçons le carburant par du biocarburant de seconde génération et par de l’électricité ; pour le chauffage, remplaçons le fioul et le gaz par le soleil, la biomasse, la géothermie et l’électricité ; et produisons l’électricité en consommant aussi peu que possible d’énergie fossile.

Hydraulique, éolien, photovoltaïque ou nucléaire ? Pour le bien de notre société, si l’on veut préserver le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité de notre économie, on recherchera les moyens les moins coûteux sans ignorer les contraintes techniques parfois méconnues de ceux qui ne sont pas des professionnels de l’électricité. Cela demande de comparer, non pas les moyens de production d’électricité pris isolément, mais les dépenses de production et de distribution de l’électricité produite par des parcs de production différents, y compris le coût des dommages causés par la production et le stockage de cette électricité.

 
Henri Prévot

www.hprevot.fr

Auteur de Trop de pétrole ! – énergie fossile et réchauffement climatique (Le Seuil, 2007), Avec le nucléaire – un choix réfléchi et responsable  (Seuil, 2012), Moins de CO2 pour pas trop cher –propositions pour une politique de l’énergie (L’Harmattan, 2013).


[1] C’est du moins ce à quoi conduit un raisonnement qui veut minimiser les coûts.

[2] A la lecture du rapport d’étude, il semble que cette valeur n’inclue pas les nuisances sonores et visuelles des éoliennes.

[3] Au sens indiqué plus haut, c’est à dire en « équivalent particules fines » en tenant compte des particules fines générées par les gaz émis par la combustion du charbon, du lignite ou du méthane.

[4] Des questions que j’ai longuement abordées dans Avec le nucléaire – un choix réfléchi et responsable (Seuil, 2012).

[6] Les dépenses faites pour diminuer le risque d’accident grave sont très supérieures à la valeur, en probabilité, du coût des dommages.

[7] Sinon de façon indirecte et très atténuée.

[8] L’énergie fossile supporte déjà une taxe intérieure qui, apparemment, a le même effet qu’un impôt CO2. Cette taxe est néanmoins de nature différente car on considère aujourd’hui qu’elle compense les dommages causés en France par l’utilisation de cette énergie – c’est particulièrement vrai de la TIC sur les carburants, censée financer l’entretien des routes, le coût des accidents, du bruit, etc. C’est un peu théorique, d’autant que l’ancienne TIPP a été créée au nom de l’indépendance énergétique pour avoir un effet sur la consommation de pétrole.