Forum confiance
Séminaire sur les Risques -2001 Ensemble de réunions organisé par
Résumé du rapport,
La lettre de mission à l'origine de ce séminaire (dont le rapporter était Michel Matheu) constate que bien des réflexions sont conduites sur les risques (naturels, sanitaires, technologiques ou environnementaux) dans des disciplines très diverses mais que leurs résultats sont controversés et qu’il est difficile pour l’Etat de hiérarchiser les priorités et de construire des actions cohérentes à différents niveaux territoriaux. Le séminaire, interdisciplinaire, doit permettre d’établir l’état de l’art, de clarifier les débats sur les points les plus prioritaires, d’éclairer les décisions gouvernementales liées à la prévention des risques et à la précaution et enfin de préparer des pistes pour de futures recherches. L’avant-propos du Commissaire au Plan commence par souligner les caractéristiques communes des risques de nature très diverses : insuffisante anticipation de la menace, ampleur de la population exposée, compréhension incomplète des mécanismes de la cause. Dans le domaine social, l’irruption des risques provoque des crises qui affectent la confiance de la population dans les gouvernants. Les procédures existantes de diagnostic, de décision et de contrôle s’avèrent mal adaptées et on attend des pouvoirs publics de nouveaux modes de débat, de décision et de vigilance. Les risques, faits sociaux totaux (cf. Marcel Mauss), se présentent comme des nœuds où s’enchevêtrent pratiques et débats relevant de tous les registres de la vie en société si bien qu’aucune discipline instituée et aucune démarche isolée des pouvoirs publics ne peuvent suffire pour remédier à la crise de confiance constatée dans les pays développés. Depuis quelque temps, et en vue d’une meilleure organisation collective de la " société du risque " (cf. Ulrich Beck, 1986), des débats sont ouverts dans trois directions : la mise en œuvre d’une instruction contradictoire de la décision, la recherche de compromis négociés pour éviter à la fois les excès de prudence et les risques inconsidérés. Le séminaire veut être une contribution à ces débats. L'introduction commence par préciser les objectifs du séminaire
: organiser un dialogue entre des experts de nombreuses disciplines et
des décideurs publics. La séance introductive, ouverte par
une conférence de J.P. Dupuy, a été l’occasion de
situer la différence entre des situations de risques probabilistes,
les aléas, qui appellent des attitudes de prévention et les
situations d’incertitude qui impliquent la précaution. Un débat
s’est ouvert entre les tenants d’une approche économique et pragmatique
des problèmes d’une part et les défenseurs d’une vision philosophique
et morale d’autre part. Une tentative de clarification de ces conceptions
permet d’éclairer les questions juridiques, politiques, organisationnelles
que les " nouveaux risques " obligent à affronter.
L’approche économique, probabiliste et pragmatique L’approche économique, probabiliste et pragmatique se fonde sur l’espérance mathématique, outil premier de la démarche probabiliste, utilisée pour modéliser les comportements des agents économiques confrontés à des aléas. L’hypothèse de base est que les individus confrontés à des aléas maximisent l’espérance de leur utilité (satisfaction ou bien-être). Cette hypothèse et le formalisme de l’espérance mathématique sont en général trop simples par rapport à la réalité psychologique et sociale constatée, en particulier dans le cas des risques. Un gain certain est alors préféré à un gain hypothétique. Le décideur public pourrait certes faire fi de ces réactions, car il se veut rationnel, et utiliser la démarche probabiliste classique. Mais une difficulté de plus survient : dans le cas des risques, l’ignorance des phénomènes relève non de l’aléa avec sa probabilité mais de l’incertain, situation dans laquelle on ne sait pas la probabilité de l’événement qui va structurer l’avenir. Pour pouvoir quand même appliquer la méthode précédente de l’espérance mathématique, il faut appliquer la théorie du statisticien Louis Savage, pour lequel les individus en situation d’incertitude se comportent comme si ils affectaient un probabilité subjective aux événements incertains. Les " probabilités à la Savage " expriment la cohérence des choix de chaque agent et permettent de revenir de la situation d’incertitude à celle d’aléa, avec une prévention qui tiendra compte d’un calcul d’utilité, et du degré d’aversion au risque observé dans la société. Comment, alors, ajuster les mesures de prévention ou, en d’autres termes, en quoi va consister l’attitude de précaution ? D’un côté il ne faut pas retarder les mesures destinées à prévenir un risque au motif de l’ignorance sur celui-ci (Principe de précaution selon le préambule du code de l’environnement). De l’autre, comment proportionner ces mesures pour qu'elles soient économiquement supportables (cf. même texte) ? Cet encadrement de la précaution exclut sans doute l’option radicale d’interdiction, qui pourrait être disproportionnée et économiquement insupportable pour certains agents économiques. Mais il ne permet pas de situer l’action devant un danger dont on ignore la portée. Face à cette aporie, les tenants du courant de pensée économique se voient confortés : en premier lieu, l’ignorance sur le risque n’est jamais totale, donc des probabilités subjectives peuvent être construites, l’"approche probabiliste à la Savage " est pertinente et a le mérite d’être opérationnelle. Reste à savoir si cette conclusion est valable dans tous les cas. Un autre argument en faveur de cette approche est un fait d’expérience : la menace d’une catastrophe majeure se révèle toujours excessif et on voit fleurir plutôt des mesures d’adaptation. Le principe de précaution est alors appliqué : des mesures
sont prises et elles sont " proportionnées " au vu des probabilités
subjectives évoquées.
Pour certains, lorsque le choix est considéré sous l’angle moral, on ne peut pas – sauf exception- utiliser le modèle probabiliste pour décider dans un monde incertain. Le jugement porté sur certains actes dépend en effet du cours ultérieur des évènements et de leur issue imprévisible ou, en d’autres termes, des conséquences dont ils ont été une cause. Mais faut-il, alors considérer - soit que le créateur d’un produit ou d’un procédé nouveau, qui se révélera ultérieurement dangereux, a fait ce qu’il devait faire si, vu l’état des connaissances au moment de la mise sur le marché, il ne pouvait pas connaître le danger du produit ? Si sanction il y a, elle sera fondée sur le fait qu’il n’a pas eu connaissance ni tenu compte de ce qu’il aurait pu et dû savoir. Dans cette conception, le décideur peut faire un choix au vu de la connaissance du moment, quitte à réviser son choix initial quand les connaissances évoluent. - soit que la responsabilité du créateur s’étend au " risque de développement ", c’est à dire aux dommages ultérieurs qui n’étaient pas prévisibles en l’état des connaissances lors de la mise sur le marché ? La sanction porte alors sur quelque chose que le créateur n’a pas voulu faire. La sanction sur le créateur, comme le dommage sur la victime, revêt la figure traditionnelle du destin. Cette seconde conception est légitime et choquante, légitime parce que l’auteur du dommage est identifiable, choquante car elle est puissamment dissuasive de toute innovation ou parce que elle incite à des mesures de précaution inconsidérées. La démarche de nature morale (cf. Hans Jonas) veut prendre en
compte la catastrophe éventuelle et en conséquence la possibilité
de refuser de s'engager sur des voies nouvelles inconnues. Hans Jonas souligne
que le très grand degré de maîtrise technologique atteint
aujourd'hui rend possibles des créations hautement nocives. Il propose
une forme de " catastrophisme éclairé ", façon de
planification inversée : alors que la planification élabore
une vision souhaitable de l’avenir et envisage les moyens de l’atteindre,
la position" à la Jonas "revient à imaginer un avenir dont
on ne veut pas et à se coordonner pour ne pas l’atteindre. Dans
cette démarche, acception forte du principe de précaution,
la conscience de la menace est une condition de la survie et il est hors
de question de tenter le destin (*).
Comment choisir entre ces deux voies ? En distinguant deux types de cas selon la gravité du danger estimé ? Mais comment les distinguer ? Ceux qui craignent un excès de prudence vont demander pourquoi surestimer le risque et sous-estimer les progrès techniques. Ceux qui souhaitent que le retrait puisse être considéré dans certains cas comme une position légitime diront que l’économie est impuissante à conjurer les menaces et qu’il lui arrive d’en être la source. La difficulté présente à y voir clair est sans doute la trace d’un changement très global de problématique. Les facteurs de changement sont imbriqués mais on y distingue des lignes de force : élévation générale du niveau de protection de la société (donc, sensibilité aux risques résiduels et désir de prolonger la vie de chacun), accroissement de la part des risques subis, émergence de risques globaux, préférence aux valeurs d’environnement et de long terme, souci d’anticipation accru. L’analyse de l’attitude face au risque échappe à la rationalité. Certains risques sont érigés comme des totems, points focaux de la société contemplés avec un mélange de frayeur et de ravissement. Comment décider dans cette ambiance de crise ? Comment construire des scénarios du pire alors qu’ils sont alimentés par des imaginations divergentes ? La tentation est de faire appel à des experts. Mais sur des sujets incertains ils sont naturellement en désaccord. Comment alors organiser la confrontation des expertises ? 0 Pour faire avancer la réflexion, deux champs méritent
d’être ouverts : prolonger le débat d’idées entre aléa
et incertain, prévention et précaution, et réfléchir
sur les procédures qui permettent à chacun de trouver sa
place dans le débat et à la décision, devenue légitime,
de se déployer.
- Voir les notes
de lecture de "la société
du risque" de Beck
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