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Fausse et vraie complémentarités entre nucléaire et intermittentes Je vais commencer en tenant des propos différents de ce que vous avez entendus. On nous parle beaucoup ces temps-ci de « complémentarité » entre nucléaire et énergies renouvelables ; et l’on parle là des éoliennes et du photovoltaïque. Ce mot de « complémentarité » fait partie de la novlangue, des éléments de langage imposés, tels que cette autre expression : « on aura besoin de toutes les formes d’énergie ». Au niveau mondial, on aura en effet besoin de toutes les énergies mais, en France métropolitaine, il est possible de répondre à la demande d’électricité en émettant très peu de gaz à effet de serre sans éolienne ni photovoltaïque. Devant la montée de ces formes d’énergie, le nucléaire a appris à s’effacer, à leur laisser de la place. Certes il a montré qu’il pouvait survivre à côté des éoliennes et du photovoltaïque mais, plutôt que de parler de complémentarité, il vaudrait mieux parler de coexistence. Ou, si l’on veut être plus offensif, dire que nous n’avons nul besoin d’éoliennes ni de photovoltaïque mais que, si la société tient à en avoir alors que cela coûte cher, le nucléaire peut pallier à leur défaut congénital, l’intermittence. En revanche il y a d’autres énergies renouvelables avec qui le nucléaire a une vraie relation de complémentarité. Il est possible de produire de l’hydrogène qui, en combinaison avec de la biomasse, peut donner du méthane, du gazole ou du carburant pour avions. Il est certes possible d’en produire à partir de biomasse sans apport d’hydrogène mais celui-ci double la production à partir d’une même quantité de biomasse. Autre exemple, l’utilisation de la chaleur du soleil, qu’elle soit dans l’air ou dans l’eau, avec des pompes à chaleur : l’électricité rend utile une chaleur autrement inutilisable et, en retour, la chaleur permet de tripler l’efficacité thermique de l’électricité Autre exemple, l’utilisation conjointe de l’électricité, qui ne se stocke pas et d’autres formes d’énergie qui se stockent aisément. Le biocarburant est complémentaire de l’électricité dans les véhicules hybrides rechargeables. De même, là où il existe un chauffage central au fioul, une résistance électrique plongée dans le circuit d’eau pourrait être mise hors tension sans préavis, à moins que l’on préfère chauffer l’eau avec une pompe à chaleur ; celle-ci pourrait être mise hors tension lorsqu’il fait très froid et que le coefficient de performance devient très faible : alors biomasse, chaleur du soleil et électricité nucléaire sont véritablement complémentaires. On peut ainsi dresser des tableaux de ressources et d’emploi d’énergie où énergies renouvelables et énergie nucléaire sont à parité (à hauteur de 40 % chacune de la consommation finale) alors que l’électricité est à 80 % d’origine nucléaire. Mais non, on
ne parle que de cette fallacieuse complémentarité entre
nucléaire et éoliennes
ou PV. Honni soit celui qui penserait que les organismes publics sont
tenus de
respecter dans leur communication des lignes directrices
précises ! 17 ou 20 réacteurs
nucléaires en trop ? Cela dit N. Hulot a raison de dire que l’objectif de limiter la part du nucléaire à 50 % de la consommation d’électricité peut être atteint en arrêtant 17 réacteurs nucléaires. D’ailleurs le calcul avait déjà été fait par la Cour des Comptes. Il aurait même pu parler d’une diminution de capacité nucléaire de 20 GW car 42 GW nucléaires seraient suffisants pour répondre à la demande d’électricité sans augmenter les émissions de CO2, mais à condition que la capacité éolienne soit de 80 GW au lieu de 10 aujourd’hui et la capacité photovoltaïque de 33 GW au lieu de 6 aujourd’hui. Ce n’est pas tout : pour avoir suffisamment d’électricité lorsque la demande est forte et que éoliennes et PV produisent peu, il faudrait augmenter la capacité de production à partir de gaz de 14 GW et disposer, pour les cas très rares où la demande est au pic et la production intermittente nulle, de quelques gigawatts de groupes électrogènes. Notre ministre nous invite donc à la cohérence. Mais cela ne serait pas gratuit. En gros le calcul des dépenses n’est pas très compliqué, par exemple sur 20 ans, en supposant que le consommation est constante. On évite les dépenses de fonctionnement de dix-sept réacteurs, 110 €/kW/an soit 37 milliards, et les travaux « post Fukushima » sur ces centrales, soit 13,5 milliards (si le montant des travaux sur l’ensemble du parc est de 50 milliards). On dépense 160 milliards pour les éoliennes (dont une partie sera en mer, 2000 €/kW en moyenne) et 40 milliards d’euros pour le photovoltaïque, partie sur le sol, partie sur toiture (1500 €/kW en moyenne). Et aussi 12 milliards de centrales au gaz, soit en tout : 212 milliards de dépenses nouvelles et 50 milliards de dépenses évitées. Une augmentation des dépenses de 160 milliards en vingt ans. Soit huit milliards par an. Les conséquences seraient lourdes, en finances, en impôt, et en pouvoir d’achat. Tout le monde est impliqué. Il faut donc un débat – le ministre dit lui-même qu’il est prêt à l’engager. Il voudra certainement que le débat soit ouvert, contradictoire, équilibré.
Il est possible d’avoir un débat au sujet du nucléaire comme le montrent les commissions locales d’information qui ont été créées autour de chaque centrale. Quant à l’avenir du nucléaire, le ministre veillera à ce qu’il y ait un vrai débat et non de ces réunions entravées et piratées par des excités qui empêchent toute discussion, ou de ces emballements médiatiques qui, à partir d’un fait anecdotique, s’amplifient sans mesure et donnent un exemple de réaction en chaîne explosive, ou encore ces contrevérités insatiablement répétées des dizaines d’années après ! Mais dans un tel débat, aussi important pour notre venir, on peut être mal à l’aise face à des affirmations contradictoires qui disent s’appuyer sur des études dont on ne sait pas grand chose. Même lorsque les hypothèses sont clairement énoncées, on souhaite connaître la méthode qui a été suivie pour conduire aux résultats. Même lorsque la méthode est présentée, même lorsque sont publiés les résultats de plusieurs jeux d’hypothèses, on peut se demander ce que donneraient d’autres jeux d’hypothèses sur les quantités et sur les coûts et si, par hasard, certains résultats ou éléments de méthode non publiés ne nous seraient pas cachés. Autrement dit, on aimerait bien accéder non seulement à la méthode mais aussi à l’outil. Certes ces outils sont beaucoup trop gros pour qu’il soit possible d’en disposer. Et ceux qui les ont élaborés préfèrent en maîtriser l’usage. Or, même sommaire, un outil permet de se rendre compte des ordres de grandeur. Et il permet de poser des questions sur les résultats publiés. C’est pourquoi j’en ai construit plusieurs qui, jusqu’à présent se sont avérés assez crédibles et, pour faire bonne mesure, je les ai publiés sur mon site Internet ; le lecteur peut lui-même y introduire ses propres hypothèses. Pour ce qui
est de l’électricité j’ai construit un modèle
simplifié qui représente heure
par heure la consommation et la production de différents moyens.
Il peut aussi
représenter comment rapprocher la fourniture de la
consommation : le
déplacement de consommation, les batteries et le
procédé qui consiste à
produire de l’hydrogène puis du méthane avec lequel on
produira de
l’électricité. Avec les barrages de montagne ce
procédé, qui n’est pas encore
industrialisé, permettrait de « stocker »
de l’électricité sur
plusieurs jours ou plusieurs mois, mais avec un piètre
rendement. Ce modèle est
très rustique mais peut-être assez fiable puisqu’il permet
de représenter la
situation actuelle, la situation imaginée par l’ADEME sans
nucléaire ni énergie
fossile et d’autres hypothèses fort différentes qui
augmentent la consommation
d’électricité et la production
d’électricité nucléaire. Il est commode pour
comparer différentes hypothèses et savoir quelles
questions méritent d’être
creusées. Il est
accessible par ici. Moins
de 50 % de nucléaire dans la consommation, c'est 10 à 20
milliards de dépenses en plus Sans entrer dans le détail, compte tenu des nouveaux usages de l’électricité et de l’augmentation de la population on peut penser que la consommation d’électricité augmentera légèrement dans les vingt ans qui viennent. Alors, l’objectif de limiter à 50 % la part du nucléaire dans notre consommation conduirait à dépenser 10 à 20 milliards d’euros par an de plus qu’en augmentant la capacité nucléaire. Comme les hypothèses et la feuille de calcul sont publiées, ces résultats peuvent être contestés, ce qui est nécessaire à un bon débat. Cela nous amène à poser cette question : si le fait de réduire ainsi la capacité nucléaire coûte autant sans aucun avantage, pourquoi s’y engager ? Pourquoi 50 % ? Pourquoi pas 40 ou 60 %. Pour minimiser la somme des frustrations de ceux qui sont favorables au nucléaire et celles des autres ? Je vois une autre réponse : diminuer notre capacité nucléaire dans la perspective de pouvoir s’en passer complètement. Un désir latent de pouvoir se passer de
nucléaire ? C’est pour cela que l’étude de l’ADEME a une telle résonance. Ses auteurs sont les premiers à dire qu’elle est imparfaite en ceci qu’elle ne tient pas compte de la situation présente, qu’elle anticipe avec grand optimisme sur des progrès techniques à venir (le rendement de la méthanation, la stabilisation d’un réseau où la place des intermittente est dominante, la baisse des coûts), qu’elle suppose que seront bien acceptées par la population les éoliennes, la restriction de la consommation d’électricité et plus généralement d’énergie. Mais cette perspective, aussi peu réaliste soit-elle, est aux yeux de beaucoup très séduisante. Si l’on en cherche les motifs, il faut sans doute aller profondément : la relation avec la nature que l’on pense mieux respecter en cueillant ce qu’elle nous donne comme cela vient qu’en allant fouiller au sein de la matière une énergie surabondante qu’elle rend accessible à ceux qui savent la trouver ; la volonté de se dégager de l’emprise de la technique, quelque chose qui pourrait trouver un appui chez plusieurs philosophes et dans une certaine lecture de l’encyclique Laudato si’. Il y a peut-être autre chose, dont je me suis rendu compte après la parution du livre Avec le nucléaire ; un choix réfléchi et responsable (Seuil, 2012). Il a fait l’objet de quelques critiques de presse. Pour deux d’entre elles, il était regrettable qu’en montrant que nous pouvons disposer d’énergie abondante et relativement peu onéreuse, je n’incite pas à la sobriété. N’y aurait-il pas dans notre société un sentiment de culpabilité devant notre surconsommation, qui nous fait désirer être privés d’une facilité pour retrouver un comportement qui ressemblerait à la sobriété dont nous nous reconnaissons incapables ? Ce que l’on nous dit des déchets à longue vie, pourtant infiniment moins dangereux que d’autres car confinés, ou des risques d’accident, pourtant infiniment moins lourds que la circulation automobile ou le simple fait de se promener dans la rue, cela ne serait qu’un paravent qui permet de ne pas avoir à expliciter ces motifs sous jacents. Dans une perspective mondiale produire en France de
l'électricité nucléaire a du sens Si cette analyse est pertinente, certes il sera toujours utile de mettre en lumière combien il serait difficile et coûteux de se passer de l’énergie nucléaire sans émettre de gaz carbonique mais ce ne sera pas suffisant pour convaincre. Il s’agit maintenant de donner du sens au choix du nucléaire, au choix du risque nucléaire. Il est vain de dire qu’il n’y a pas de risque ; il est vain de comparer mathématiquement ce risque à d’autres. Mais, le jour même où M. Hulot envisage de diminuer d’un tiers le potentiel nucléaire français, ce qui nous coûterait des milliards d’euros par an de dépenses supplémentaires, on nous annonce que l’aide aux pays en développement sera réduite de quelques centaines de millions d’euros. Au lieu de dépenser des milliards pour implanter chez nous des panneaux photovoltaïques et des éoliennes fabriqués ailleurs, ne serait-il pas préférable de conforter notre potentiel de production nucléaire et de financer dans les pays en développement où il y a du vent et du soleil et pas de réseau électrique des éoliennes et des panneaux photovoltaïques construits chez nous ? Ce serait éviter un gaspillage, créer de véritables emplois, permettre à des pays dont les moyens sont insuffisants de se développer tout en évitant chez eux dix fois plus d’émissions de gaz carbonique que si ces moyens étaient implantés chez nous et enfin, cerise sur le gâteau, le sentiment d’avoir fait une bonne action. Oui, Monsieur le ministre, il y a vraiment matière à débat sur un terrain que vous affectionnez. |
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