« La division par 4 des émissions de gaz carbonique en France » paru le numéro de janvier 2004 de Responsabilité et environnement Depuis la parution de cet article, l'auteur a exposé le résultat de son travail au cours d'un séminaire organisé par la direction générale de l'énergie le 30 juin 2004, ; les planches qu'il a commentées sont accessibles ici. Avant de faire des remarques au fil de la lecture, voici une comparaison de ce texte avec le scénario « diviser par trois en trente ans » présenté ici et qui avait été décrit dans Réalités industrielles d’août 2003 et dans la Revue de l’énergie de février 2004. Les points d’accord Les cibles sont proches : 38 MTC pour la « division par trois », 32 MTC pour la « division par quatre ». Elles sont d’autant plus proches que le scénario « division par trois » ignore (sans doute à tort) la géothermie et (sans doute à raison) la séquestration et la cogénération. Dans l’un et l’autre cas, la consommation finale d’énergie est à eu près la même qu’aujourd’hui, ce qui suppose, par rapport à la tendance, des économies d’énergie significatives. Les véhicules sur route seront bi-énergie, électricité et carburant liquide. Dans les prochaines décennies, l'hydrogène ne sera pas utilisé comme moyen de transport et de stockage de l'énergie. L'un et l'autre calculent la capacité nucléaire par différence, en tenant compte de la limite fixée pour les émissions de gaz carbonique et après avoir fait appel autant que possible aux économies d'énergie et aux ressources renouvelables. Ils concluent l'un et l'autre que le nucléaire est inévitable si l'on ne dispose pas de capacités suffisantes de séquestration - ce qui n'est certainement pas envisageable à échéance de 30 ans. Mentionnons aussi comme point d’accord probable le développement des réseaux de chaleur, que l'auteur n’a pas mentionnés mais dont il juge certainement nécessaire le fort développement. Les différences essentielles Le scénario « diviser par trois » propose un tableau croisé des ressources et des emplois d’énergie ce qui permet de vérifier la cohérence d’ensemble ; d’autre part, il explicite ses hypothèses ce que ne fait pas l'article "diviser par 4", qui par ailleurs, présente plusieurs scénarios difficilement comparables dans leur ensemble. Or, avec les données de cet article, on a du mal à "boucler" le tableau des ressources et emplois. On pourrait trouver dans son exposé de fin juin des éléments de réponse. La consommation pour le transport passerait de 50 à 30 Mtep, soit une très forte diminution, de 40 %, ce qui le rapproche des hypothèss de Négawatt. Deux autres hypothèses sont très fortes : la production d'électricité éolienne serait de 20 Mtep et celle d'électricité photovoltaïque de 10 Mtep, soit 30 Mtep ; comme plusieurs scénarios ont été élaborés, d'autres hypothèses ont sans doute été faites dans un scénario où le nucléaire garde la même puissance ; mais nous ne les connaissons pas. Le texte "diviser par 4" ne cite aucun coût alors que le scénario « diviser par trois » (autre particularité) évalue le coût des différentes formes d’énergie, ce qui permet d’énoncer un prix de l’énergie, de calculer le montant de l’impôt qu’il faudra instaurer, le montant des dépenses, l’impact sur l’économie et le surcoût pour les ménages et ce qui permet d’exclure certaines formes d’énergie mentionnées dans cet article (photovoltaïque, cogénération). Notre scénario fait un appel systématique à la biomasse, beaucoup plus que ce que l’on peut deviner à la lecture du texte "facteur 4". Notre scénario « diviser par trois » prévoit, arguments techniques et économiques à l’appui, un chauffage mixte électricité en base, gaz ou fioul en pointe, ce qui permettra d’écraser la pointe de consommation d’électricité. Cette étude "facteur 4", dans le scénario nucléaire, prévoit, semble-t-il, le maintien au niveau actuel de la capacité nucléaire alors que le scénario « diviser par trois » prévoit le doublement de la capacité nucléaire et une augmentation de 50% de la production électrique. Le scénario "facteur 4" exclut le chauffage électrique au motif que l'électricité "de pointe" est faite à partir d'énergie fossile. Mais, pendant les périodes dites "de pointe", la plus grand partie de l'électricité consommée est produite par des installations qui fonctionnenent en base ou en semie-base, donc une électricité pour laquelle le moyen de production le plus économique est nucléaire ; dans la puissance-chaleur appelée en pointe, seule la part qui dépasse la puissance de semi base ne peut pas être fournie par du nucélaire. Le scénario "diviser par trois en trente ans" propose que cette part de la puissance chaleur appelée en pointe soit livrée sous forme de gaz ou du biofioul. Ainsi une bonne partie de la chaleur peut être électrique. Le scénario « diviser par trois » ignore les éoliennes et la cogénération, très présentes dans les scénarios présentés dans cet article. Le indications données ne permettent pas de calculer les émissions de gaz carboniques dues à la production d'électricité pendant les périodes sans vent. L'étude "facteur 4" parle beaucoup d’énergie déconcentrée ; je n’en connais pas les données économiques mais ne vois pas comment elles contribuent à diminuer l’effet de serre. Par ailleurs, elle semble recourir beaucoup plus que le scénario « diviser par trois » à la réglementation. Le scénario « diviser par trois » s’abstient de toute considération d’ordre moral. Un bon débat demande de pouvoir comparer des
scénarios
chiffrés en volume et en coût et présentant un
ensemble
cohérent. A ce stade, le texte diviser par 4 ne le permet
pas.
*** La cible visée La cible est un niveau d’émission correspondant
à 32
millions de tonnes de carbone dans cinquante ans contre 106
aujourd’hui.
C'est une division par moins de 4 par rapport à la situation
actuelle
mais par plus de quatre par rapport à la tendance. Pour
mémoire
le scénario « division par trois » des
émissions
par personne fait passer de 106 à 38 MTC en 30 ans, c’est
à
dire avec des techniques connues et éprouvées
aujourd’hui.
Remarques au fil de la lecture Au sujet de l’« énergie
primaire » et du "rendement énergétique"
On lit par exemple : « le rendement moindre des réacteurs nucléaires par rapport aux anciennes centrales thermiques » : comme on vient de le dire, le mot « moindre » a des connotations. Or cette comparaison n'a aucune signficiation au point de vue économique ni technique. Comme la limitation est désormais la quantité de carbone émise et non la quantité d'énergie primaire consommée, le bon est le rapport énergie finale (ou utile) en Tep/ tonnes de carbone émises. La notion d’ « énergie utile » L’article n’en donne pas la définition. La différence entre énergie utile et énergie finale peut sans doute tenir au rendement des appareils utilisés par le consommateur, comme la chaudière. Mais comment calculer l’énergie utile d’un feu dans la cheminée ? Et le lecteur doit être conscient que souvent le rapport entre énergie utile et énergie finale ne peut physiquement pas être égal à 1, notamment pour un moteur à explosion Il faudrait donc préciser dans chaque cas la veleur optimale et ne retenir que l'écart à la valeur optimale. Une question importante de méthode Le texte ne présente pas de tableau global qui croise les différentes formes d’énergie avec les différentes utilisations. Or on ne peut rien dire sur un secteur si l’on n’a pas une vision globale. A l’inverse, à partir d’un tableau croisé cohérent, il est très facile de multiplier les hypothèses en modifiant un chiffre puis en apportant d’autres modifications pour rétablir la cohérence du tableau en lignes et en colonnes. Le lecteur peut modifier comme il l'entend le scénario de "division par trois" que nous présentons, en y mettant plus de fossile et moins d'électricité, plus de gaz et moins de carburant etc. : à chaque fois il est facile de calculer les émissions. Sur le résidentiel-tertiaire Les affirmations telles que « des progrès technologiques récents peuvent trouver leur traduction dans de nouvelles réglementations » puis « le renforcement de la réglementation thermique devra intervenir rapidement » soulèvent des remarques. En effet les progrès significatifs seront obtenus par l’application effective des réglementations existantes plus que par de nouvelles réglementations. Par ailleurs, chaque fois que l’on évoque une réglementation, il serait bon d'évoquer également les coûts sous-jacents qu’elle implique. De la même façon, parler d’un « programme de réhabilitation lourde » sans donner de chiffres est incomplet. La lecture de l’article laisse le sentiment qu’il faut contenir la consommation d’électricité. Pourquoi donc en faire un a priori ? Que l’on veuille faire des économies d’énergie, c’est tout à fait légitime voire nécessaire pour atteindre l’objectif ; que l’on veuille éviter les pointes de consommation d'électricité, c’est nécessaire mais pourquoi donc vouloir limiter l’usage de l’électricité en soi ? Serait-ce l’aversion au nucléaire ? Si tel est le cas, cette aversion est légitime, mais il faut l’exprimer clairement et en tirer toutes les conséquences, c’est à dire non pas un peu plus ou un peu moins de nucléaire, mais le refus absolu du nucléaire (voir ici ou encore dans l'article d'Esprit). Sinon, on rique de créer la confusion. Sur la cogénération Il est impossible d’y voir, comme le fait l’auteur, un moyen de limiter les émissions de gaz carbonique. D’une part la cogénération, au sens habituel, libère toujours du gaz carbonique ; et, d’autre part, là comme ailleurs, le texte ne dit rien des coûts. Le scénario par trois présente un cas utile de cogénération, qui nous a été suggéré par le CEA : la récupération de la chaleur des centrales électriques nucléaires comme source froide de pompes à chaleur géantes pour du chauffage urbain, technique dont ce texte ne parle pas - et qui reste à évaluer.. L’électricité photovoltaïque Le texte évoque l’intégration des modules photovoltaïques en ces termes : « le secteur bâti pourra massivement contribuer à la production électrique par intégration de modules photovoltaïques en toiture et en façade ». Plus loin, il donne un coût - c’est le seul coût indiqué dans l’article : à l’horizon 2015, un coût de production de 0,15 c€ le kWh avec ce commentaire : « soit un coût proche du prix de l’électricité délivrée par le réseau à la clientèle domestique ». Il n'est pas facile de s'y retrouver. Comme le tarif d’électricité au client domestique est aujourd’hui de 7,5 cm d’euros par KWh, le prix cité par l’article pour le voltaïque est sans doute 0,15 €/KWh ( et non pas 0,15c€/KWh), soit deux fois plus que le prix rendu. Cela dit, comparer un coût de production d’un KWh qui n’est pas produit la nuit à un prix du KWh livré lorsqu’on le demande (y compris donc les coûts de transport et de distribution) n’est d’aucune utilité et peut en réalité égarer le lecteur rapide qui ne retiendrait que l’expression « proche du prix ». Plus loin, on lit : « la production du photovoltaïque, comme celle de l’éolien, nécessitera un complément pour garantir une alimentation continue », sans dire que ce « complément » (en quantité, deux fois la production de l’éolien et du solaire tout de même) sera générateur d’émissions de gaz carbonique (sauf séquestration). Cela dit, il faut se tenir informé de l'évolution du coût de production d'électricité photovoltaïque , qui diminue très vite. Sur le transport On lit : « la première incertitude porte sur l’importance de la croissance de la mobilité. La projection a été fondée sur un rythme de 1,7 % par an ». Aujourd’hui la consommation pour le transport est de 51 MTep. Le scénario tendanciel de la DGEMP prévoit 68 Mtep en 2030. On devine, en lisant le haut de la page 22, que la consommation d’énergie sera de 30 Mtep (ce qui est confirmé par les planches de l'exposé fait le 30 juin), soit plus de deux fois moins : l’efficacité est donc multipliée par plus de deux. Mais les indications données ailleurs ne nous permettent pas facilement de dire comment y parvenir. La production nucléaire On lit : « …puisque la production nucléaire restera stable dans les 15 années à venir ». Sur quoi donc est fondée cette affirmation faite sur un ton d’évidence pouvant désorienter le lecteur ? Plusieurs considérations sont développées à partir de la notion de « rendement global du système énergétique » pour dire que « d’ici 2050, les efforts d’économie d’énergie, de substitution vers des solutions plus performantes, de production combinée de chaleur et d’électricité, permettront d’accroître le rendement » - pour le porter à 81 %, contre 55 % en cas de recours massif au nucléaire. A lire ces chiffres, la cause est entendue ! On l’a dit plus haut, avec le nucléaire d'une part, et compte tenu que les ressources fossiles sont surabondantes, ce « critère » n’a aucun sens économique ; pourquoi y revenir si fréquemment ? L’usage de l’électricité comme source de chaleur Le texte dit judicieusement qu’il vaut mieux éviter de produire de l’électricité avec des énergies fossiles pour l’utiliser comme chaleur. A la lecture du texte, on a tendance à conclure que l’usage chaleur de l’électricité devrait être prohibé. Ce serait inexact car, même en période de semi-base et même en période de pointe, une bonne partie de l’électricité est faite à partir d’installations de base. L’objectif doit donc être d’écrêter les pointes de consommation d'électricité. Or le texte n’évoque pas les techniques classiques de chauffage électrique par accumulation (ni a fortiori d’autres techniques présentées dans le scénario « division par trois » pour que la pointe de chaleur soit assurée par du gaz ou du fioul). Observations sur les conclusions L’auteur conclut à l’impossibilité de se passer totalement du nucléaire sauf possibilités considérables de séquestration du gaz carbonique. Nous sommes d’accord. Mais il écrit : « un scénario nucléaire restera fragile car fortement dépendant d’une seule source d’énergie de la pérennité de sa maîtrise technologique et de sa difficulté à devenir un standard mondial, y compris pour les pays pauvres ou instables ». Or ces arguments sont-ils recevables ? Encore une fois on peut être contre le nucléaire du fait des déchets ou des risques graves. Mais comment dire que ce serait « la seule source d’énergie » ; comment en perdrait-on la maîtrise technologique ? Et l’argument qui fait appel au fait que le nucléaire n’est pas généralisable au monde entier n’a guère de valeur : toute tonne de carbone que nous n’émettons pas bénéficie au monde entier, quel que soit le moyen employé pour ne pas l’émettre : les Brésiliens devraient-ils s’abstenir de faire du biocarburant au motif que d’autres pays n’ont pas les mêmes possibilités ? Rien sur les coûts ni sur les prix Les seules unités de mesure présentées dans ce texte sont des quantités de matière ou d’énergie et rien n’est dit sur les coûts ni les prix. Cela conduit à utiliser le ratio dont on a montré comment il oriente le lecteur sans qu’il s’en rende compte, « le rendement énergétique global ». Certes, ce ratio est calculé aussi par l'Observatoire de l'énergie mais, alors que la chaleur libérée par la production nucléaire n'a ni coût ni valeur et que l'on se rend compte désormais qu'ily a trop de carbone fossile dans le monde si on veut lutter contre l'effet de serre, les critères à retenir sont seulement les quantités de gaz carbonique émises et les coûts. Les autres risquent de détourner de l'objectif. Or l’article n’a jamais parlé des coûts. Retour en tête de la note
pour les
conclusions générales.
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