Une introduction sur le site du Forum confiance

Il y a de multiples raisons de s'intéresser à cette question du rôle de l'Etat pour renforcer la confiance. Il y a aussi plusieurs façons d'aborder la question.

En voici une - texte Jean-Pierre Dupuy   et de Henri Prévot.
 

Dans un monde incertain, quel est le rôle de l'Etat pour établir, maintenir ou renforcer ce qu'il est de coutume d'appeler la "confiance" ?

Face à une question tellement vaste, chacun a sa réponse. En voici une - étant entendu que les membres de notre groupe peuvent avoir un approche différente.

En fait, l'Etat cherche à ce que les relations qu'entretiennent les personnes avec d'autres personnes, avec des entreprises, avec les institutions, avec les objets et les services qu'ils manipulent ou utilisent et plus généralement avec leur environnement soient exemptes de douleur (physique ou mentale : inquiétude, angoisse etc.) et de violence. Nul ne conteste en effet que l'Etat est responsable de l'ordre public. L'Etat cherchera à éviter également que, face à l'incertain, les personnes ne fuient car ce serait un appauvrissement collectif. Doit-il éviter que les personnes n'adoptent une attitude de fuite mentale, par la drogue ou les psychotropes ? Sans doute oui, au titre de la santé publique mais la chose est déjà moins sûrement admise.

L'Etat doit-il chercher à ce que les relations entre les personnes soient non seulement paisibles mais aussi fécondes, autre aspect de la relation de confiance, au sens qu'a donné Peyrefitte à ce mot dans la "société de confiance" ? Sans doute. Jusqu'où ira son implication ? Se borner à réguler des marchés, susciter des "grands projets" ?

Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles se posent sous un jour nouveau pour la raison que dans les dernières décennies on assiste à une évolution qui modifie beaucoup ces relations. 

1- Un contexte nouveau

   1.1- La distance entre les personnes et les objets ou les services qu'elles utilisent, entre les personnes et ceux qui leur procurent ces objets ou services s'est terriblement agrandie
Il s'agit ici de distance mentale et de distance géographique, cela pour deux raisons au moins : la sophistication technique et la mondialisation des échanges. La personne ressent donc une difficulté beaucoup plus grande à contrôler ces objets ou ces services. 

La sophistication est multiforme : dans l'ordre matériel, le fonctionnement d'un moteur automobile ou celui d'un ordinateur ; dans l'ordre immatériel, la place plus importante de services abstraits comme la communication ; l'apparition de risques diffus dont on ne sait plus où est la cause. La sophistication porte aussi sur la mesure, de sorte que la compréhension même des phénomènes, la perception de la qualité des objets etc. en sont gênées ou rendues impossibles. 

Alors que jadis les risques ou les nuisances étaient visibles, que leurs effets étaient perceptibles par le sens commun, aujourd'hui inaccessibles au sens commun et même à la compréhension intellectuelle, ils deviennent des notions. 

Là où la distance est grande, on trouvera évidemment des "médiateurs" dont le jeu sera favorable ou non à la sérénité des relations. 

   1.2- La fin d'un mandat implicite ; la nécessité de formuler un nouveau mandat 

Jadis, le mandat donné à l'Etat et à ses fonctionnaires était d'œuvrer à l'amélioration des performances techniques et à la diminution des risques : les trains doivent rouler plus vite et avoir toujours moins d'accidents, les rejets polluants doivent être diminués, les risques d'accidents industriels doivent être réduits encore plus etc. Mais on en arrive à un point où force est de constater que "le risque zéro n'existe pas". Fort bien ; mais alors quel risque accepter, quelle teneur de polluant tolérer ? C'est une question radicalement nouvelle qui, souvent, n'a pas reçu de réponse. 

L'absence de réponse génère des malentendus, source de mauvaise compréhension, donc de défiance et d'inquiétude. 

Qui doit donner la réponse ? Autant, jadis, le fonctionnaire pouvait agir sans en référer à la population ni au politique pour améliorer toujours les performances techniques, autant la formulation du mandat demande une démarche nouvelle, à laquelle le fonctionnaire participera bien sûr, mais qui ne relève pas de lui seulement. 
 

2- Les formes diverses et parfois contradictoires de la "confiance" 

Il est assez habituel de dire que les relations sociales ne sont possibles que si elles sont empreintes de confiance et de parler de la transitivité de la "confiance". Un minimum d'analyse pourrait être utile. 

Nous vivons fort bien à côté d'un chien dangereux si celui-ci est solidement attaché. Faut-il dire que j'ai confiance en ce chien dangereux ? Nous avons plutôt "confiance" dans la solidité de la chaîne. Nous avons pu la tester nous-mêmes - faut-il alors parler de "confiance" ; n'est-ce pas plutôt de "contrôle" qu'il s'agit ? A moins qu'une autre personne, après l'avoir contrôlée, ne nous ait assuré que la chaîne est solide ; alors nous aurons peut-être confiance en cette personne soit que nous la connaissons, soit qu'elle appartienne à un organisme en qui nous avons confiance. A moins que nous n'ayons nullement confiance, que nous ayons le sentiment d'un risque et que nous acceptions ce sentiment de risque. 

Ce que l'on appelle en général "confiance" pourrait plutôt s'appeler "quiétude" ou "sérénité" ou plutôt "absence d'inquiétude insupportable". C'est le résultat de plusieurs choses :

1- la conscience raisonnée d'un risque avant tout contrôle,
2- le contrôle que l'on peut personnellement exercer et l'efficacité que l'on prête à ce contrôle 
3- l'action d'un tiers dont l'on aura vérifié qu'il est capable d'exercer un contrôle efficace ou en qui l'on a plus ou moins confiance. Il peut exister des tiers qui amplifient la conscience du risque
4-  la conscience plus ou moins raisonnée d'un risque après prise en compte des contrôles et de l'action des tiers
5- ce que l'on peut appeler la "confiance" stricto sensu : en ce sens une grande confiance peut faire disparaître, à l'encontre du raisonnement, la conscience d'un risque.
6- l'acceptation du sentiment de risque généré par la conscience de ce risque 
 

3- La confiance et le projet

Jusqu'ici on a parlé de la façon de coexister avec ces voisins. Un autre aspect de ce que l'on appelle la confiance intervient lorsqu'il s'agit d'agir avec. Là intervient le projet. La réflexion philosophique est en résonance profonde avec l'expérience quotidienne pour démontrer à quel point le projet est générateur de confiance.
 

4- Le rôle de l'Etat 

Cette analyse rudimentaire montre que, pour que les relations soient acceptées sans violence et sans fuites et soient fécondes, le rôle de l'Etat peut prendre plusieurs formes 

    - être un tiers dans la relation entre la personne et l'objet, le service, une autre personne ou une institution, un tiers qui apporte de la sérénité, soit que la personne puisse contrôler l'efficacité de son action de contrôle soit qu'elle lui fasse confiance. 

    - contrer et annuler l'action des intermédiaires dont l'action diminue la sérénité des relations (en amplifiant l' risque perçu notamment) 

    - faire en sorte que la personne ait davantage de moyens de contrôler elle-même

    - présider à l'élaboration de mandats explicites sur le niveau de sécurité et sur la précision des mesures 

    - réunir les conditions qui amènent les personnes à mieux accepter les sentiment de risque généré par les incertitudes : d'abord connaître l'incertitude et les risques dans la mesure du possible, avoir le sentiment de l'utilité de ces risques etc.

….- faire en sorte que les personnes aient confiance, au sens strict, dans les organismes de contrôle

    - inciter les personnes à participer à des projets communs, quitte à être lui-même l'organisateur de ces projets.

Reste ouverte la question de savoir si l'Etat a un rôle à jouer pour faire en sorte que les personnes se fassent davantage "confiance" au sens strict. Ne serait-ce pas s'introduire dans le secret des relations entre personnes ?

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Pour entrer dans le site on peut commencer par le CR de la réunion de juin, sur la polysémie du mot "confiance". Puis, on peut essayer de voir si la raison peut rendre compte de la confiance avec  Martin Hollis et le CR de novembre. Le livre de Beck montre comment on est passé d'une société de "biens" à une société de "maux" et aussi, j'ajoute, une société de "mots" - de notions - ce passage me paraît extrêmement important puisque les "biens" matériels sont tangibles par tous, ils forment un langage commun ; les risques, surtout s'ils sont lointains ou faibles, eux, ne sont pas tangibles ; ce sont des notions ; ils font l'objet de discours.  Sujet dont traite aussi le CR de septembre sur les risques et aussi celui de décembre sur la métrologie, devenue absconse pour le grand public. On entre dans la société cognitive où les maîtres sont les "manipulateurs de symboles" pour parler comme Reich qui, par ailleurs, posait cette question essentielle : "qui est nous ?". 

Nous avons commencé une réflexion sur la relation entre confiance et temporalité, c'est à dire en fait sur confiance et projet, au cours de notre réunion de juin 2003, réflexion que nous continuerons en septembre.

On trouve un peu partout sur ce site des réflexions sur les sujets bien connus tels que le rôle des experts, la place des procédures, les références communes, la réalité du groupe à côté de la réalité des personnes etc. Le livre de J.P. Dupuy sur le catastrophisme éclairé propose une belle réflexion sur le temps, dont on reparlera certainement en juin avec "confiance et projets" et son texte sur la "mauvaise foi" montre à quel point tout cela est compliqué !

A côté de textes de réflexion, on trouve des texte très pratiques, qui font état de l'expérience de ceux qui sont confrontés dans leur métier à la gestion du risque et à la façon de le faire accepter à la population : on lira pour cela les comptes-rendus des réunions Lacoste-Defrance.

Et des textes sur la monnaie, reflet de la société, sur la démocratie, autre reflet de la société etc.